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LIVRE PREMIER.

mer Dieu sur toutes choses, qu’il avait cette inclination dans le Paradis avant la Chute, et que depuis il ne l’a pas du tout perdue, tellement qu’un rien suffit pour la réveiller. Et selon sa manière favorite, prenant une comparaison familière et vive, il dit :

«Entre les perdrix il arrive souvent que les unes desrobent les œufs des autres, afin de les couver, soit pour l’avidité qu’elles ont d’estre mères, soit pour leur stupidité qui leur fait mescognoistre leurs œufs propres. Et voicy chose estrange, mais neantmoins bien tesmoignée ; car le perdreau qui aura esté esclos et nourry sous les aisles d’une perdrix estrangère, au premier réclam qu’il oyt de sa vraye mère qui avoit pondu l’œuf duquel il est procédé, il quitte la perdrix larronnesse, se rend à sa première mère, et se met à sa suite, par la correspondance qu’il a avec sa première origine.... Il en est de mesme, Théotime, de nostre cœur ; car quoy qu’il soit couvé, nourry et eslevé emmy les choses corporelles, basses et transitoires, et, par manière de dire, sous les aisles de la Nature ; neantmoins, au premier regard qu’il jette en Dieu, à la première cognoissance qu’il en reçoit, la naturelle et première inclination d’aimer Dieu, qui estoit comme assoupie et imperceptible, se resveille en un instant…[1]

Que si, selon lui, nous avons, même déchus, l’inclination naturelle d’aimer Dieu sur toutes choses, nous n’en avons pas le pouvoir sans le secours de Dieu ; toujours des comparaisons, des allégories, et tirées de l’histoire naturelle, car saint François de Sales a aimé, senti, compris les symboles de la nature comme personne autre en son temps, comme La Fontaine plus tard et surtout Bernardin de Saint-Pierre[2]:

  1. Traité de l’Amour de Dieu, liv. I, chap. XVI.
  2. J’insiste par avance sur Bernardin de Saint-Pierre : les comparaisons de saint François, on le remarquera chemin faisant, sont presque toutes tirées des champs, des plantes, des fleurs, des fruits, du règne végétal enfin, ou des abeilles, des oiseaux :