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LIVRE PREMIER.

avoit le visage gracieux à merveille, les yeux colombins, le regard amoureux ; son petit maintien estoit si modeste que rien plus : il sembloit un petit Ange… Ce qui est plus admirable est que petit à petit, par une spéciale faveur de la divine Bonté, les dons naturels qui estoient en luy se convertissoient en vertus. » Et voilà précisément ce qui a manqué à ces autres naturels non moins peut-être charmants et divins, mais qui ont tout laissé flotter en manière de qualités et de talents, sans que rien s’établit en eux à l’état de vertus. En avançant dans la vie, cela ne suffit plus, et l’on dérive. J’aime à savoir pourtant qu’il s’est promené souvent en bateau sur ce beau lac d’Annecy, voisin d’un autre si amoureusement chanté. Toute cette page de son Esprit est à lire[1].


« Lui-même, dit Camus, me menoit promener en bateau sur ce beau lac qui lave les murailles d’Annecy, ou en des jardins assez beaux qui sont sur ces agréables rivages. Quand il me venoit visiter à Bellay, il ne refusoit point de semblables divertissements auxquels je l’invitois ; mais jamais il ne les demandoit, ni ne s’y portoit de lui-même. »

« Et quand on lui parloit de bâtiments, de peintures, de musiques, de chasses, d’oiseaux, de plantes, de jardinage, de fleurs, il ne blâmoit pas ceux qui s’y appliquoient, mais il eût souhaité que de toutes ces occupations ils se fussent servi comme d’autant de moyens et d’escaliers mystiques

  1. Partie IV, chap, XXVI. Le volume intitulé Esprit de saint François de Sales, qui circule dans toutes les mains, n’est qu’un abrégé de l’ouvrage primitivement composé sous ce titre, non point par Camus, mais d’après les sermons, lettres, entretiens de Camus, et qui fut publié successivement en six volumes à dater de 1639. Cet Esprit complet est devenu presque introuvable, et on le doit regretter : les volumes que j’en ai sous les yeux me le prouvent. L’excellent abrégé qu’en a fait le docteur Collot, très suffisant pour l’édification, ne remplace pas l’original pour la littérature. Ce premier Esprit selon Camus, et la Vie du Bienheureux par le Père de La Rivière, sont indispensables pour pénétrer à fond dans la moelle du mystique idiome.