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LIVRE PREMIER.

sonnes. La différence de cet esprit natif éclata finalement dans les querelles publiques et directes entre l’institut de la Visitation et Port-Royal.[1]

Du courant de tout ce qui précède, une autre conclusion n’est plus à tirer : quoiqu’il ait mené une vie de pratique, toute d’apostolat et d’épiscopat, saint François de Sales est un écrivain. Il avait trop de bel-esprit pour ne pas l’être, pour ne pas se complaire à ce don heureux et à ces grâces inévitables qui coulaient de sa plume. Il a beau dire dans ses préfaces qu’il ne fait pas

  1. Voir, si l'on veut épuiser le sujet, la Lettre aux Religieuses de la Visitation, etc., par le Père Quesnel. — Mais comme j’aime mieux, après tout, la conciliation que la contradiction, j’en produirai ici un édifiant et trop rare exemple. Un de nos amis dont il sera question dans la suite, M. Feydeau, un des ecclésiastiques de Saint-Merry, du temps que M. Du Hamel y était curé, se trouvant chargé de la conduite de beaucoup d’âmes, particulièrement de personnes du sexe qui s’adressaient à lui, a écrit dans ses Mémoires (inédits) cette belle page qui se rapporte aux années 1646 et suivantes : «Je fus fort empêché de voir tant de personnes qui me demandoient de les conduire, sachant que c’est l’art des arts, et que les fautes qu’on y fait se font aux dépens des âmes que Jésus-Christ a rachetées de son sang. Je trouvois bien dans le livre de la Fréquente Communion toutes les règles nécessaires pour faire un bon renouvellement ; mais, après cela, je ne savois plus de quel esprit j’étois, et il me sembloit que les livres de M. de Genève (saint François de Sales) étoient ceux qui fournissoient plus de règles et qui faisoient une conduite assez solide et assez heureuse : en sorte que quelques-unes des personnes qui venoient à moi s’étonnoient quelquefois de la manière dont j’en parlois, croyant que Port-Royal, avec qui j’avois liaison, y devoit être opposé ; mais je me souvenois que la mère Marie-Angélique Arnauld, qui étoit pour lors abbesse de Port-Royal, m’avoit dit que M. de Genève avoit été son directeur ; que c’étoit un homme très-austère pour lui-même, et que sa conduite n’étoit nullement relâchée. J’unissois autant que je pouvois ces deux esprits ensemble : les rapprochant de leurs principes, je trouvois qu’il n’y en avoit qu’un.» C’est bien là l’union élevée à laquelle il serait à souhaiter que tous les cœurs véritablement chrétiens aspirassent d’atteindre. Bien peu y parviennent, et encore, autour d’eux, le plus souvent on s’en scandalise.