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LIVRE PREMIER.

nous dit que M. de Belley faisait un beau roman en quinze jours. Ces deux versions se concilient très-bien : Camus nous apprend lui-même qu’en écrivant il ne relisait ni n’effaçait jamais ; il faisait donc en quinze jours ses plus longs romans, et en une nuit ses simples nouvelles. Il a donné de celles-ci quatre livres réunis sous le titre d’Evénements singuliers : « Fasse le Ciel que ces Evénements singuliers que je ramasse en ces pages, dit-il, ressemblent aux verges de Jacob, avec lesquelles il donna à ses agneaux des toisons de telle couleur qu’il luy plaisoit ! ». Ainsi espère-t-il à l’égard des âmes.

Port-Royal n’était pas tout à fait de cet avis ; le bon évêque y figure à la suite de saint François de Sales ; mais il semble qu’il y brouillait et dérangeait un peu ce que faisait l’autre guide excellent et modéré. La sœur Anne-Eugénie, dont nous savons l’imagination haute et la fantaisie aisément rêveuse, nous dit :

« Quand la mère Agnès fut revenue de Maubuisson[1] M. l’Évêque de Belley, dont M. de Genève avoit donné connoissance à notre mère, vint à Port-Royal pour quelques jours. I y prêchoit et y écrivoit. Tous les soirs la mère Agnès et moi l’allions voir, et, comme il sut que j’avois la fièvre quarte, il me parloit en présence de la mère Agnès je crois plus gaiement qu’il n’eût fait, paroissant assez sérieux ce premier voyage. Mais y étant revenu d’autres fois, pendant qu’il ecrivoit des livres d’histoires entremêlées de discours de piété, qui finissoient toujours par des Martyres ou des Entrées en Religion, et néanmoins exprimant les passions humaines comme les romans, ces lectures m’étoient fort préjudiciables aussi bien que sa conversation qui étoit souvent sur cela. Si Dieu ne m’eût tenue de sa main, je fusse par là rentrée bien avant dans l’esprit du monde[2]. »

  1. Elle y avait fait quelque court voyage
  2. Mémoires pour servie à l’histoire de Port-Royal, (Utrecht, 1742), tome III, page 368