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PORT-ROYAL.

Pour revenir à ses relations avec le duc de Savoie, ce prince, qui s’était formé une haute idée des talents et de la capacité politique de François dans toute cette affaire du Chablais, mais qui ne concevait guère, en ambitieux qu’il était, le désintéressement et le dévouement pur, quand on avait en soi de telles ressources de finesse, le duc avait l’œil sur François, et comme il le voyait fort choyé de la France, inclinant souvent et voyageant de ce côté, il en prit une méfiance qui se trahit par mille mauvais tours, comme les appelait le saint. Ce fut surtout quand François fut devenu évêque de Genève que le duc appréhenda qu’il n’eût l’idée de traiter avec la France de ses droits sur cette ville, droits que revendiquait le duc pour son compte, mais desquels François n’était disposé à traiter avec personne[1]. Il lui refusa une fois la permission d’aller prêcher le Carême à Dijon ; une autre fois que le prélat était allé au pays de Gex pour travailler à la conversion du bailliage sur une invitation du baron de Luz, gouverneur au nom de la France (voyage dans lequel, le Rhône étant débordé, il avait dû traverser Genève), il apprit que le duc en grande colère avait menacé de séquestrer ses biens. Les visites que recevait François du côté de la France étaient pour ce prince vieillissant des causes perpétuelles de soupçons qui rejaillissaient sur toute la famille de Sales et enveloppaient les frères du saint. On voit, par plusieurs

  1. N’étant encore que coadjuteur, pendant la guerre reprise entre le duc de Savoie et Henri IV au sujet du marquisat de Saluées, François s’était jeté à travers l’armée française pour empêcher qu’elle ne détruisît l’œuvre catholique dans la Chablais. À la paix, en 1602, il était allé à Paris pour y traiter des intérêts de conscience du bailliage de Gex ; il y était devenu l’objet des soins de la Cour, le directeur de plusieurs grandes dames et princesses. Henri IV lui avait offert en France pension et évêché. Le duc de Savoie en sut mauvais gré au sujet fidèle.