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LIVRE PREMIER.

pour tenter de le ramener à la religion catholique. Théodore de Bèze était vieux alors et ne sortait guère de son logis ; François de Sales y vint incognito. Ils se donnèrent, il paraît, des marques d’estime mutuelle et même d’affection. C’étaient deux beaux esprits, deux hommes modérés, d’un cœur fin et tendre. On ne connaît le détail de ces conférences que par le récit des amis de saint François ; il serait intéressant de le savoir du côté de Bèze. Mais ce qui ressort même du récit catholique, c’est, il faut l’avouer, la modération de Bèze, son émotion affectueuse en certains moments, ses larmes même qu’il mêle à celles de François, son mot plusieurs fois répété : Qu’on peut se sauver dans l’Église catholique ; aveu dont François s’emparait, et dont il abusait un peu quand il voulait ramener Bèze à dire qu’on ne peut se sauver que là, ce qui est différent. Enfin il paraît que ces conférences, bien que restées sans résultat et fort grossièrement traduites par tous les biographes de saint François, ne furent pas tout à fait indignes, par le ton et par le cœur, de ce que fut ensuite, par la pensée, la tentative de conciliation entre Leibniz et Bossuet.

Mais à un moment de la négociation, à la quatrième visite de François de Sales chez Théodore de Bèze, on le voit aborder ce coin de l’intérêt personnel, où se glissait, selon moi, un art de politique. D’après les instructions reçues de Rome depuis la première entrevue, il avait à offrir à Bèze, si celui-ci consentait à revenir au giron catholique, une retraite honorable à son choix, quatre mille écus d’or de pension, etc. ; ce qu’il en vint à lui proposer en effet avec toutes sortes de ménagements, non comme une corruption (chose impossible à tenter avec un tel homme), mais comme une compensation légitime et due. J’avoue toutefois que j’aurais autant aimé que saint François de Sales ne touchât pas cette corde-là.