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PORT-ROYAL.

relu une bonne partie de saint Augustin, ce sera pour étonner avec le temps tout le monde. Nous aurions assez des semaines entières d’en parler.»

Il y plonge et replonge, il s’y abîme, mais non pas en vain ; son dessein prend de la consistance ; la lettre du 5 mars 1621, qui précéda de peu l’entrevue avec Saint-Cyran, est explicite et annonce que tout est mûr pour un prochain parti. Une sorte de grandeur théologique s’y déclare :

«Cependant je poursuis mes études que j’ai commencées après un an et demi ou deux ans environ, c’est-à-dire à travailler à saint Augustin, lequel je lis avec un étrange désir et profit (à mon avis), étant venu jusques au septième tome, et ayant lu les livres d’importance deux ou trois fois. Je n’ai cependant rien marqué de lui, fesant état de le lire et relire toute ma vie. Je ne saurois dire comme je suis changé d’opinion et de jugement que je fesois auparavant de lui et des autres ; et m’étonne tous les jours davantage de la hauteur et profondeur de cet esprit, et que sa doctrine est si peu connue parmi les savants, non de ce siècle seulement, mais de plusieurs siècles passés. Car, pour vous parler naïvement, je tiens fermement qu’après les hérétiques, il n’y a gens au monde qui aient plus corrompu la théologie que ces clabaudeurs de l’école, que vous connoissez. Que si elle se devoit redresser au style ancien qui est celui de la vérité, la théologie de ce temps n’auroit plus aucun visage de théologie pour une grande partie. Ce qui me fait admirer grandement les merveilles que Dieu fait à maintenir son Épouse (exempte) d’erreurs. Je voudrois vous en pouvoir parler au fond ; mais nous aurions besoin de plusieurs semaines, et peut-être mois. Tant est-ce que j’ose dire avoir assez découvert par des principes immobiles que quand les deux écoles, tant des Jésuites que des Jacobins, disputeroient jusques au bout du Jugement, poursuivant les traces qu’ils ont commencées, ils ne feront autre chose que s’égarer beaucoup davantage, l’une et l’autre étant cent lieues loin de la vérité. Je n’ose dire à personne du monde ce que je pense (selon les principes de saint Augustin) d’une grande partie des opinions de