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PORT-ROYAL.

sultats ; car si saint Augustin est à ce point nécessaire, radicalement essentiel, et à la fois si peu connu, si difficile à bien connaître (ce que répète continuellement Jansénius en son Augustinus), le voilà donc à substituer à saint Paul, à égaler presque à l’Évangile ; voilà, tout à côté du livre des livres (plus portatif heureusement), un autre livre, ou plutôt une dizaine d’in-folio préalablement indispensables à la droite voie de l’humanité. Est-ce admissible ? Il y eut, il le faut reconnaître, dès l’origine de cette doctrine du Jansénisme, une indiscrétion et une indigestion de science, une prédilection de savant infatigable et opiniâtre. Quand Jansénius, dans son ouvrage, d’ailleurs plein de substance et de beautés théologiques (que je ne comparerai cependant pas, comme l’ont fait de zélés admirateurs, à la Vénus d’Apelle), — quand il mit au rang des trois concupiscences celle du savoir, du désir insatiable d’approfondir, il aurait pu faire retour sur lui-même et se l’appliquer[1]

  1. Nous assistons à la naissance du Jansénisme, et nous le saisissons à son point de formation. S’étonnera-t-on que je dise : le Jansénisme naquit avec un boulet au pied, et ce boulet est saint Augustin ? — Et qu’on me permette à ce sujet une remarque qui anticipe sur l’ensemble du sujet et qui l’embrasse. Il y avait dans le Jansénisme un principe concentré, énergique, mais qui devint vite stérile et qui tendait au resserrement. Il n’avait rien d’expansif. Ce n’est pas tant à cause de sa doctrine de la Grâce, de la Justification par la foi et par le seul Christ : les Méthodistes ont eu, au plus haut degré, cette doctrine, qui est au fond la doctrine chrétienne dans son essence, qui est saint Paul tout pur, et ils ont été expansifs, civilisateurs, émouvant les foules, non seulement en Angleterre, mais aux confins du Nouveau-Monde, au milieu des populations mêlées de l’Ohio et du Kentucky. Si le Jansénisme n’avait eu que cette doctrine chrétienne excessive, il aurait pu émigrer, comme il y songea, dit-on, en un temps, et retrouver une vie nouvelle par delà l’Océan : cette doctrine chrétienne étroite, selon saint Paul, est très portative, expéditive ; elle est courte, aiguë et pénétrante ; elle étonne les âmes, les renverse et les dompte, au moins pour un temps. Mais le