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LIVRE PREMIER.

M. de Saint-Cyran n’était pas ainsi, et, tout en s’inquiétant fort de la vérité théologique, il voyait les choses du salut plus en dehors des livres et de la science. L’entrevue dès longtemps tramée eut lieu dans l’intervalle de mars à novembre 1621 ; M. de Saint-Cyran alla jusqu’à Louvain ; son ami ne le reconduisit-il pas et ne fit-il aucune pointe en France[1] ? Il est certain qu’ils s’enten-

    Jansénisme avait deux autres points de foi ou de discipline dont il ne se débarrassa jamais : 1° la foi à l’Eucharistie dans le sens strict catholique romain : cela l’entravait et introduisait dans son Credo un élément qui pouvait sembler idolâtrique ; 2° il avait la prétention de rester uni et lié de communion avec Rome avec le Saint-Siège, avec l’Église catholique centrale, malgré le Saint-Siège lui-même, la prétention de rester fidèle à la tradition catholique : et pour cela il avait besoin de saint Augustin, d’un Père et d’un docteur plus rapproché de nous que saint Paul. C’est là ce que j’appelle le boulet au pied qu’il traînait et qui l’enchaîna dès l’origine. Il y perdit toute force de célérité et de jeunesse, et, en général, la rapidité, la facilité de propagation en dehors d’un premier cercle. Que l’on veuille y songer : le missionnaire méthodiste part avec sa Bible, avec les Évangiles et les Épîtres, il n’a pas besoin de plus pour s’inspirer : le missionnaire catholique jésuite part avec son Bréviaire, il n’a pas besoin de plus pour s’entretenir aussi et s’inspirer par la prière : le soin d’établir le dogme, la discussion et la solution théologique, il les renvoie à Rome et ne s’en charge pas à chaque instant. Mais le Janséniste, qui est à la fois biblique et soi-disant catholique, qui croit en saint Paul, mais qui veut le démontrer par un docteur, par un des Pères, afin de prouver aux autres Catholiques que lui-même il est dans la vraie tradition, se trouve à tout moment empêché et encombré. Aussi, ce que fut le Méthodisme sous ses diverses formes, en Angleterre, en Amérique, en Suisse, etc., ce qu’il est encore en certains pays, le Jansénisme ne l’aurait pu devenir : trop de liens le retenaient. Il ne fut jamais qu’un demi-émancipé, à domicile ; il ne pouvait aller très loin. Outre saint Paul, il lui fallait emporter avec lui tout saint Augustin ; c’était trop lourd. Que sera-ce quand il aura pour supplément de viatique, de bagage indispensable, les 40 volumes in-4o d’Arnauld ?

  1. On lit dans la lettre de Jansénius, du 19 novembre 1621, la seconde après la séparation : « Je me porte bien, après une langueur de tête et une toux que j’ai eue du voyage que je fis avec vous. » Si on peut rattacher le Bourg-Fontaine, c’est par là.