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LIVRE PREMIER.

l’esprit, ayant aussi pour conseil la Prieure[1], changea par l’ordre de l’Évêque toute la conduite de cette maison, qui étoit dans une très-grande docilité, pauvreté et simplicité ; ce qui faisoit nos Sœurs toutes bêtes, disoit-on. Il y en avoit plusieurs qui ne savoient pas écrire quand elles avoient été reçues ; et, voyant que c’étoient des esprits assez médiocres, qui ne pouvoient pas être employées à des charges où il fallût écrire, je jugeois inutile qu’elles l’apprissent. On voulut aussitôt qu’elles le sussent, et on garnit incontinent toutes les cellules d’écritoires, afin que tout le monde écrivît ; au lieu qu’auparavant il n’y avoit que les Officières qui en eussent, ou celles que l’on destinoit à écrire ce qui étoit nécessaire pour la Communauté. On disoit qu’il falloit rendre toutes les Sœurs capables de tout. Beaucoup ne bougeoient des parloirs à parler à des Pères (de l’Oratoire), et puis il leur falloit écrire pour façonner les esprits…. On ne vouloit plus recevoir de pensionnaires, si elles n’étoient filles de marquis ou de comtes[2]. À l’église force parfums, plissures de linge et bouquets. On prioit tout le monde de venir dire la messe, et de prêcher ; on faisoit tous les jours des connoissances nouvelles. Avec tout cela des austérités extraordinaires, des jeûnes au pain et à l’eau, des disciplines terribles, des pénitences les plus humiliantes du monde ; en sorte que, voyant en faire une à une fille imparfaite, j’en fus très touchée, pensant que ce fût un miracle ; mais à la récréation du même jour, la voyant autant railler qu’elle avoit pleuré le matin, je fus toute surprise, et trouvai que l’on faisoit jeu

  1. La mère de Pourlans.
  2. «Une chose qui fit grande peine à la mère Angélique, fut qu’aussitôt après l’élection, les nouvelles Mères lui vinrent demander où elle avoit pris trois filles qui étoient dans la maison, et dont sa charité s’étoit chargée pour les tirer du péril. Elles lui dirent qu’elles étoient résolues de les renvoyer là d’où elles étoient venues, et qu’elles étoient à charge à la maison. Cela fut très sensible à la Mère, qui n’en voulut faire aucune plainte. Elle en pleura tant en secret devant Dieu, que ses yeux et son visage découvrirent son cœur : on s’aperçut bien qu’on l’avoit touchée dans ce qu’elle avoit de plus sensible, et ainsi on la pressa moins, et on lui donna le temps de chercher elle-même à bien placer ces pauvres filles.» (Note des Mémoires pour servir, etc..)