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LIVRE DEUXIÈME.

Lorsqu’elle commença sa confession, il lui dit :

« Dieu est esprit, et les péchés de l’esprit l’offensent beaucoup plus que les corporels. Vos ressentiments sur ce point sont justes. Gardez-vous de l’exagération. Il y a plus d’humilité à se confesser simplement. »

« Il n’est point besoin d’examen pour se souvenir des péchés d’importance ; leur impression ne s’efface point, parce qu’elle tient de l’immortalité de l’âme. Tenez-vous devant Dieu sans pensées et sans paroles, il vous entendra bien. Je vous laisse avec ces paroles de l’Évangile de la semaine : « Les derniers seront les premiers. » Aux premiers siècles, les pécheurs demandoient avec une extrême humilité d’être reçus à la Pénitence, et s’estimoient indignes d’approcher seulement les Prêtres. »

« Il faut venir vivante à la Pénitence. C’est la raison pourquoi je vous ai laissée attendre si longtemps. Je vous ai laissée vivre ; il y a cinq mois que vous vivez d’une vie spirituelle. »

« La première pointe de l’aurore s’appelle Jour, encore qu’elle n’efface pas les ténèbres de la nuit : ainsi la première étincelle de la véritable lumière que Dieu envoie sur une âme, se doit appeler Grâce, encore qu’elle soit environnée des ombres que le péché porte après lui. »

« C’est un abus extrême de conduire toutes les âmes d’une même sorte ; chaque âme doit avoir ses règles. Plusieurs choses peuvent se faire sans danger par des âmes innocentes, lesquelles seroient dangereuses à des âmes blessées par le péché, qui, quoique guéries par la Pénitence, ne sont pas exemptes des foiblesses que leurs blessures leur ont laissées. Un soldat qui a été dangereusement blessé se ressent le reste de sa vie, quoique ses plaies soient bien guéries, des changements de temps, et ne s’expose pas, s’il aime sa santé ; aux brouillards et aux neiges, comme un autre pourroit faire sans péril. Je ne vous puis donc pas laisser dans vos libertés de conscience, si vous ne voulez pas que je vous trompe, comme ceux qui ont attribué vos peines à d’autres causes. Moi qui connois vos plaies, je les dois guérir. Je suis le médecin qui dois venir au remède : il est dans le retranchement que vous