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PORT-ROYAL.

des peintres de ce nom, et peintre elle-même, nous a laissé des dessins de ce cher monastère où elle se retirait souvent. « Elle ne peignait, est-il dit dans sa Vie, que des tableaux de piété pour honorer les mystères, pour peindre en elle l’image de Jésus-Christ souffrant et mourant. » Mais celui qui fut d’abord le principal et grand peintre de Port-Royal, comme Racine en fut plus tard le poète, c’est Philippe de Champagne. Qu’il nous exprime des paysages et scènes d’ermitage tirés des Pères du Désert de d’Andilly, qu’il nous expose une sainte Cène dans laquelle les figures des Apôtres sont copiées de celles des solitaires, ou qu’enfin il suspende son admirable ex-voto pour la guérison de sa fille religieuse à Port-Royal : dans ces divers tableaux destinés à l’autel, ou à la salle du chapitre, ou au réfectoire du monastère, sa peinture calme, sobre, serrée, sérieuse, tour à tour fouillée ou contrite dans l’expression des visages, s’accorde, d’un pinceau sincère, avec le sentiment qui le doit diriger : toute la couleur de Port-Royal est là.[1] Dans les chants du chœur, dans cette partie plus spirituelle et plus permise, le seul luxe du lieu, et qui était comme l’huile prodiguée aux pieds du Sauveur par Marie, dans le concert de ces voix qu’on nous représente si douces, si ravissantes, et surtout articulées et distinctes, Port-Royal nous offrira encore plus d’une émouvante circonstance. À la mort de la mère Agnès, pendant l’office de la sépulture où M. Arnauld, son frère, est le célébrant, tout d’un coup, quand le chœur en vient à l’In exitu, les religieuses ne peuvent retenir leurs larmes : « Le chœur,

  1. Philippe de Champagne « bon peintre et bon chrétien ; » c’est l’éloge qu’on lui donnait à Port-Royal, et que l’on accordait également à son neveu Jean-Baptiste Champagne. Ces simples mots comprenaient tout ; on n’en disait pas plus.