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PORT-ROYAL.

blement que désormais il lui soumettait son cœur. Ce n’est qu’à Port-Royal qu’on rencontre de ces traits-là.

Et ce grand pénitent, qui déployait la vigueur ascétique des premiers âges, cet implacable tourmenteur de lui-même en Jésus-Christ, qui aurait été l’un des chefs de la milice monastique d’un Athanase, ce géant d’ardente poitrine et de cœur de flamme, qui ne voulait plus que des cavernes pour y pleurer, son imagination (savez-vous ?) avait des nuances ou des saillies pleines de douceur. Il aimait à connaître, avons-nous dit, les aventures spirituelles de chaque solitaire, et se faisait une dévotion de les entendre raconter comme un saint roman. Aux grands jours, dans les circonstances solennelles de Port-Royal-des-Champs, à défaut de descente à Antioche ou d’irruption dans Alexandrie, il allait en tête de ces Messieurs, la nuit, au sortir de matines, recevoir leur nouveau directeur, M. Manguelen, qu’envoyait M. Singlin, retenu à Port-Royal de Paris, et il parlait, il haranguait dans ce silence de la nuit, au nom de tous, d’une manière à les étonner et à les ravir. Un jour, il plaida (avec permission de M. Singlin) pour les religieuses de Port-Royal devant un juge de village, qui n’avait jamais rien ouï de si beau. Sa bouche éloquente avait conservé des paroles d’or ; mais c’est surtout dans les Écoles de Port-Royal et auprès des enfants qu’il se les permettait sans scrupule, qu’il les prodiguait avec candeur. Du Fossé, dans ses Mémoires, nous en a donné des détails qu’il faut lire[1]: «Je me souviens même que, tout écolier que j’étois, il me faisoit souvent venir dès lors dans sa chambre, où il me donnoit des instructions très-solides, tant pour les études que pour la piété. Il me lisoit et me faisoit lire divers

  1. Page 156 des Mémoires pour servir à l’Histoire de Port-Royal, par M. Du Fossé, 1739.