Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t1, 1878.djvu/409

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
395
LIVRE DEUXIÈME.

endroits des poètes et des orateurs, et m’en faisoit remarquer toutes les beautés, soit pour la force du sens, soit pour l’élocution. Il m’apprenoit aussi à prononcer comme il faut les vers et la prose, ce qu’il faisoit admirablement lui-même, ayant le ton de la voix charmant, avec toutes les autres parties d’un grand orateur. Il me donna aussi plusieurs règles pour bien traduire et pour me faciliter les moyens d’y avancer.» Ce que M. Le Maître faisait là pour le jeune Du Fossé, il le fit également pour le petit Racine, comme on le voit par l’aimable et naïve lettre qu’il lui écrivait de Bourg-Fontaine (1656) deux ans avant sa mort. C’est là une heureuse liaison, et qui complète littérairement M. Le Maître. Ce qui a pu lui manquer pour le goût dans certains écrits, il l’a compensé par cette influence docte et pieuse dont il environna l’enfance de Racine. Il le trouvait si bien doué qu’il voulait faire de lui un avocat: reste de prédilection qui fait sourire.

Par tous ces traits rassemblés et qui anticipent quelque peu sur les temps, j’ai voulu achever rapidement l’idée du premier et du plus chrétiennement héroïque de nos solitaires. À ne voir même que le côté historique des mœurs et des caractères, c’est quelque chose d’assez original au dix-septième siècle, et (si l’on pouvait réintroduire ces expressions profanes) quelque chose d’assez glorieux, que d’avoir produit de telles figures. Parmi les analogies et les parallèles à la Plutarque que l’on construirait pour l’époque, on pourrait poser et soutenir sans trop de peine comme thèse : Ce que Racine est à Euripide ou à Sophocle, M. Le Maître l’a été à saint Jérôme ; quelque chose de moindre assurément, mais qui souvent rappelle les mêmes tons et les mêmes lignes[1].

  1. Sur M. Le Maître on a, pour le connaître bien à fond, les