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PORT-ROYAL.

c’était devenu sa tâche favorite, comme au dedans du cloître c’était celle également de la sœur Marie-Claire, et leur simplicité fervente y excellait.

Il fut aussi le premier militaire parmi les Messieurs de Port-Royal ; il ouvre en date cette série intéressante de pénitents qui, changeant seulement de milice, brisèrent leur épée au pied de la Croix. Les autres qui se retirèrent successivement, M. de Pontis, M. de La Petitière, M. de La Rivière, M. de Beaumont, M. de Bessi, tant de vieux routiers, vrais centurions de l’Évangile, ne vinrent à Port-Royal qu’après l’exemple donné par le jeune major de Philisbourg ; et celui-ci était déjà mort depuis deux ans, lorsque pendant la seconde guerre de Paris, en pleine Fronde (1652), Port-Royal des Champs, exposé aux partis de troupes répandus dans la campagne, fut mis en état de défense et de siège par tous ces vieux capitaines qui reprenaient, il le fallait voir, leur ton de commandement et saisissaient, avec une secrète joie, cette dernière occasion permise d’exercer un métier abjuré, mais au fond toujours cher. C’est même alors qu’on

    s’y tient occupé au cœur de la ville comme s’il étoit au fond d’un désert, qui prie, qui médite la loi du Seigneur, et qui travaille de sa plume. Ses copies sont pour lui ce qu’étoient pour les anciens solitaires les paniers et les corbeilles de jonc ou d’osier qu’ils envoyoient vendre pour en vivre et pour en soulager quelques pauvres. Saint Grégoire, pape, consolant les personnes qui ont la douleur de ne pouvoir pas par eux-mêmes assister les pauvres, leur conseille d’employer toute leur industrie à leur attirer du secours de ceux qui peuvent leur en donner. C’est le cas où je me trouve à l’égard du copiste dont j’ai parlé.»
    J’entrevois en idée tout un petit chapitre qui aurait eu pour titre : Les Copistes de Port-Royal. Un plus patient que moi, et qui s’entendrait mieux au matériel des manuscrits, l'aurait pu faire. En comparant les copies de la Bibliothèque du Roi, de la Bibliothèque de Troyes, et celles aussi des archives jansénistes d’Utrecht, on verrait que les mêmes écritures reviennent souvent. Ce qui est certain, c’est que, pour ces chrétiens un peu mystérieux, copier était mieux qu’un métier : c’était une dévotion et un humble ministère.