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LIVRE DEUXIÈME.

souillent et la diffament devant Dieu, et à n’adorer que l’unique et souveraine efficacité de la Grâce[1]. Molière, La Rochefoucauld et La Bruyère étaient assez du même avis quant à la première partie, mais sans la seconde dont ils usaient assez peu.[2] Ils prenaient le mal et laissaient le remède ; ils raillaient plus ou moins gaiement, disséquaient plus ou moins cruellement la nature humaine ainsi vue : pourtant ils le font dans les détails et dans l’application seulement, et ils n’élèvent pas de système philosophique complet en face du Christianisme.

Au dix-huitième siècle, on passe outre. Fontenelle, Montesquieu, Voltaire, dès l’abord, ont été des observateurs ironiques, et plus que cela : la religion par eux n’est pas seulement négligée ; elle est directement atteinte. Mais un système parallèle se forme, auquel eux-mêmes et d’autres concourront, et que Jean-Jacques pousse à son dernier terme. Bientôt la plus grande élévation spirituelle, au dix-huitième siècle, consiste (au rebours de la grande religion du dix-septième) à croire la nature humaine bonne en soi quand la société ne la gâte pas trop, à la respecter, à proclamer la conscience loyale et droite si on la consulte en elle-même, et à prétendre la liberté de l’âme capable de bons choix. C’est de la religion alors (au moins relativement) que de croire cela ; et l’excès irréligieux consiste dans la négation de la liberté et dans une sorte de prédestination, mais toute physique et par la matière, bien loin

  1. Un des confesseurs de Port-Royal définit très-bien la Grâce la souveraineté de Dieu sur les hommes et la soumission des hommes à Dieu.
  2. Même La Bruyère, du moins en écrivant : ses pensées sur la religion sont comme ajoutées après coup, et n’affectent pas son observation courante. D’ailleurs sur ces pensées mêmes, à les serrer de près, il y aurait beaucoup à dire.