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PORT-ROYAL.

serai, le plus possible, s’exprimer en son propre langage, qui reproduit, comme toutes les autres Relations intérieures de nos amis, les formes plus ou moins et l’accent même des Confessions de saint Augustin : ce beau livre engendra dans Port-Royal une nombreuse postérité d’écrits, à la fois originaux et imités, selon le cachet composé qui marque la littérature sous Louis XIV.

«Quoique nous eussions peu d’instructions solides en cette Communauté, dit-il, Dieu néanmoins m’y retint pendant dix ans. Beaucoup d’autres y entrèrent jeunes comme moi pendant ce temps-là : pas un seul ne put y persévérer ; et l’on ne sauroit dire pourquoi, vu qu’on ne remarqua point en eux de désordres. Quoique je ne fusse pas meilleur qu’eux, il me fut néanmoins impossible de retourner au monde, et Dieu me conserva là, par des voies qu’il seroit trop long de déduire, jusqu’à ce que je vins à connoitre M. de Saint-Cyran. J’étais comme un homme que la mer a jeté sur la côte de quelque ile, où il attend que le vaisseau qui le doit prendre vienne à passer.[1]»

Il avait assez de lumière intérieure pour prendre plus de plaisir et de fruit à ce qu’il pouvait rencontrer d’ouvrages ou de citations des anciens Pères qu’à tous les livres de dévotion du temps  ; et il disait souvent à ceux qui étaient pour lors élevés avec lui, et qui l’en firent depuis ressouvenir : «Il n’y a plus d’hommes comme ceux-là (parlant de saint Chrysostome, de saint Ambroise, de saint Augustin, et des autres) ; et, s’il y en avoit seulement un, je partirois dès cette heure et je m’en irois le chercher, fût-il au bout du monde, pour me jeter à ses pieds et pour recevoir de lui une conduite si pure et si salutaire.»

Et à propos de ce fait, déjà exprimé plus d’une fois, qu’on ne lisait plus les Pères, et qu’il y eut à cet égard

  1. Mémoires de Lancelot, tome I, page 5.