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PORT-ROYAL.

seulement, dans le petit logis que leur mère leur avait fait bâtir :

«Ces Messieurs eurent tant de bonté pour moi, qu’encore qu’ils ne vissent personne du monde, ils prièrent M. de Saint-Cyran de me faire monter chez eux. On m’y conduisit donc, mais sans que je susse où j’allois. Comme j’entrai et que je vis des personnes si modestes, et qui me reçurent avec une si grande effusion de Joie, je me doutai de quelque chose, voyant bien qu'il y avoit là un certain air de charité tout à fait extraordinaire. Aussitôt M. de Saint-Cyran me prit et me mena à la ruelle d’un lit assez pauvre sur lequel il me fit asseoir auprès de lui pour me parler… Je vis de même que tout le reste des meubles ne consistoit qu’en quelques livres et quelques chaises de paille ; et je me confirmai dans cette pensée que j’étois sans doute dans la chambre de celui que je souhaitois tant de pouvoir trouver. Je le dis à M. de Saint-Cyran, qui me l'avoua et me promit de me recevoir, ajoutant néanmoins que j’attendisse encore trois jours pour savoir s’il me mettroit chez lui, ou à Port-Royal avec ces Messieurs.

«Je descendis avec lui, et, étant dans la cour, il me dit qu’encore qu’il eût quelque réputation d’être savant, il ne falloii pas que je vinsse à lui dans la pensée d’acquérir de la science, et que peut-être il ne me feroit point étudier. Puis il ajouta : «Voyez saint Hilaire, dont on faisoit hier la fête ; c’étoit le plus habile homme de son temps, et cependant il n’a pas fait un savant de saint Martin.[1]

Ces trois jours étant passés, je revins trouver M. de Saint-Cyran, et j’eus parole positive qu’il me mettroit à

  1. Ceci se rapporte à d’autres pensées de lui, et qu’il a énergiquement exprimées : «Il n’y a rien que je haïsse davantage que les rechercheurs de la vérité, lorsqu’ils ne sont pas vraiment à Dieu et que son seul amour ne les conduit pas dans la recherche… ; ces hommes qui n’ont qu’un grand appétit de savoir et de découvrir des terres nouvelles, et dont il faut dire mieux que des riches du monde : Qui volunt divites fieri , incidunt in muUa desideria. » (Lettres chrétiennes et spirituelles de messire Jean Du Verger de Hauranne, abbé de Saint-Cyran, qui n’ont point encore été imprimées jusqu’à présent, 1744, p. 514.)