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LIVRE DEUXIÈME.

faire prêtre. C’était aller bien vite. Le jeune Singlin ne savait pas un mot de latin : M. Vincent lui indiqua un collège où les régents eurent pour lui des soins particuliers ; et de la sorte, après ses études expédiées tant bien que mal, M. Singlin, entré dans les Ordres, devint prêtre. M. Vincent le plaça comme catéchiste et confesseur à l’Hôpital de la Pitié[1]. C’est de là qu’il connut M. de Saint-Cyran, qui l’introduisit aux religieuses du Saint-Sacrement. M. Singlin se décida bientôt à quitter la Pitié pour se ranger entièrement sous la conduite du nouveau maître, à la parole duquel il prit, dit-il, comme l’allumette au feu. M. de Saint-Cyran lui fit cependant des objections, selon son usage, et ne se rendit que quand le nouveau disciple lui eut démontré que le bien que les prêtres pouvaient désirer en cet hôpital était tout à fait paralysé par le caprice et l’influence absolue des administrateurs. M. Singlin, ayant donc reçu, de l’avis et des mains de M. de Saint-Cyran, quelques enfants pour les instruire, alla d’abord passer l’été de 1637 à Port-Royal des Champs, qui était une solitude ; il s’en servit comme d’une retraite pour y consommer un renouvellement complet intérieur, et, après s’être abstenu assez longtemps des fonctions du sacerdoce, il ne recommença à dire la messe que le jour de saint Laurent, patron de la chapelle de Port-Royal des Champs. On crut même généralement autour de lui que c’était sa

  1. La mère de M. Singlin demeurait à l’hôpital de la Pitié, «dont elle était l’économe générale :» ce sont les termes de Lancelot. Le Père Rapin, comme s’il ne trouvait pas les origines de M. Singlin assez petites, les rabaisse encore et les empire de son mieux : «Antoine Singlin, dit-il, était fils d’un marchand de vin de Paris ; son père, qui avait mal fait ses affaires, laissa sa famille fort incommodée. Sa mère, n’ayant pas de quoi subsister, se retira à l’hôpital de la Pitié, dont elle devint concierge. On prétend qu’Antoine n’ayant pu réussir dans le commerce, etc., etc. » La malveillance se trahit jusque dans les plus petites choses : que sera-ce dans les grandes ?