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PORT-ROYAL.

première messe qu’il disait : «Car on ne savoit encore alors, remarque Lancelot, ce que c’étoit que de se séparer de l’autel par un sentiment de son indignité et par esprit de pénitence[1]. » M. Singlin éprouvait ce sentiment dans toute sa profondeur, et avec une confusion si sincère, avec une telle adresse opiniâtre à se dérober, qu’il ne semblait pas probable (indépendamment de sa science assez médiocre) qu’il devînt jamais confesseur et supérieur, si M. de Saint-Cyran, démêlant hardiment et plus opiniâtrement encore, avec l’aide de Dieu, son vrai don et son propre génie sous cette crainte, ne lui avait fait violence et ne l’avait, comme malgré tout, institué.

Et ici il importe de bien établir l’idée expresse que M. de Saint-Cyran se formait du Sacerdoce et de la vocation spéciale qu’il y réclamait. Si, en parlant de sa doctrine sur le péché et des dispositions internes où il plaçait surtout la Pénitence, j’ai fait voir combien il se rapprochait des plus éminents parmi les Chrétiens dits réformés, j’ai maintenant à mettre en regard et tout à côté les points non moins essentiels sur lesquels il s’en séparait ; ils viennent se rapporter et comme aboutir à ce sacrement du Sacerdoce[2].

  1. L’auteur de la Vie de M. Singlin, qui est en tête de ses Instructions chrétiennes, paraît s’y être trompé en disant que M. de Saint-Cyran le prépara à recevoir la prêtrise.
  2. Les ennemis de M. de Saint-Cyran le soupçonnaient de penser ou même l'accusaient d’avoir dit que l’absolution prononcée dans le sacrement suppose déjà la remise intérieure du péché, et n’est en quelque sorte qu’une déclaration juridique, par la bouche du prêtre, une ratification de ce qui doit être consommé au dedans. Mais d’après ses idées sur le Sacerdoce, on ne peut douter de tout ce que, indépendamment de l’esprit intérieur, il accordait à l’acte même des sacrements. Je laisse à de plus compétents que moi de prendre parti pour ou contre la réalité historique et traditionnelle du Sacerdoce chrétien comme il l’entendait. C’est l’affaire du savant Ranke (Histoire d’Allemagne pendant la Réformation),