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LIVRE DEUXIÈME.

de l’Évangile n’est que pour les petits et les pauvres et non pour les Grands que Dieu conduit par des miracles quand il veut les sauver et non par les voies ordinaires… Dieu seul peut faire cette merveille et c’est témérité aux hommes de s’efforcer de faire comprendre ces vérités : il faut s’adresser à lui par de très humbles et continuelles prières. » La ligne de conduite de M. Singlin avec les Grands, et même avec ses pénitents en général, fut toujours telle : un mélange de timidité et d’autorité ; se dérobant d’abord plutôt que de céder, mais, dès qu’il avait prononcé, ne cédant plus ; ayant besoin d’être contraint, et aussitôt alors invincible. « M. le duc (de Luynes) doit savoir, écrivait la mère Angélique (18 septembre 1650), qu’on ne lui donnera point de jour s’il ne force la personne qui le doit entendre. Il faut qu’il demande à Dieu la disposition du cœur,… et que, lorsqu’il en sentira les mouvements, il fasse effort pour faire rendre M. Singlin : car tant qu’il ne le forcera point, il le remettra toujours ».

Ce trait propre aux directeurs de Port-Royal et à leur méthode médicatrice, M. de Saci le reproduira à son tour, après MM. Singlin et de Saint-Cyran. [1]

  1. Et encore dans une lettre à M. de Sévigné (13 novembre 1660) : « Soyez assuré, Monsieur, que cette froideur qui paroît en M. Singlin ne vient que d’une sainte crainte ; il appréhende pour lui, à la vérité, sachant le compte étroit que Dieu demandera aux Pasteurs, des âmes qu’il leur a commises ; mais il craint aussi autant pour vous, et il regarde votre intérêt comme le sien » — Que penser après cela des insinuations de Petitot sur les prétendues facilités que les directeurs de Port-Royal auraient accordées aux Grands ? Il va jusqu’à oser dire de la princesse de Guemené : « D’Andilly l’avait présentée à Saint-Cyran, qui ne s’était pas montré trop sévère à son égard. » On a encore présente l’image de cette étincelle sur le parvis glacé. Toute cette notice de Petitot est ainsi très légère de recherches et très envenimée d’intention. — On a eu pis que cela depuis et ce n’est plus à Petitot qu’on a affaire ; c’est à des ennemis, sinon plus loyaux et plus dignes, qui sont du moins, des adversaires de première main.