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LIVRE DEUXIÈME.

dans les crises qui survinrent, trouvé des ressources, des inspirations nouvelles appropriées ; il aurait continué de gouverner avec calme, grandeur et ensemble. C’est ce qui manqua, même avec la direction stricte, mais peu étendue et peu renouvelée, de M. de Saci, même avec les talents d’Arnauld et avec le génie de Pascal. Ces talents, s’il le faut dire, ont plutôt hâté que combattu la déviation que je signale, et je n’en voudrais d’autre preuve que ce moment significatif où le Prêtre M. Singlin, se trouva insuffisant, et où le Docteur, M. Arnauld, l’emporta. Notre Port-Royal complet était déjà sorti de son véritable esprit intérieur, pour entrer dans sa seconde période, celle de la polémique, qui le perdit.

Nous avons épuisé la première et courte liste des solitaires qui se trouvaient réunis à Port-Royal de Paris au commencement de 1638. Je dois mentionner pourtant M. de Bascle que M. de Saint-Cyran appelait quelquefois le troisième des Ermites ; les deux autres étaient MM. Le Maître et de Séricourt.[1] On peut ajouter

  1. Etienne de Bascle, gentilhomme du Querci, très lié avec les Fénelon. Sa première vie qu’on a en détail par un récit de M. Le Maître (Recueil de pièces pour servir à l’Histoire de Port-Royal, Utrecht, 1740, page 173 et suiv.) est tout ce qu’il y a de plus triste et de plus bizarre. Il eut d’affreux désastres dans le mariage ; des maladies nerveuses, de véritables visions s’ensuivirent. Ruiné de santé et de fortune, il vint, encore jeune, à Paris, pour tâcher d’être précepteur de quelque enfant de qualité. Il y connut M. de Saint-Cyran en 1635 ; il le revit en 1637 et se donna à lui. Un songe qu’il avait eu dans sa grande maladie lui avait représenté un désert, et là saint Jean-Baptiste lui était apparu, lui désignant du doigt un certain vallon tout au pied d’une montagne comme le refuge et le nid de la pénitence. En voyant M. de Saint-Cyran, il se sentit saisi d’une joie pareille à celle qu’il avait éprouvée à l’apparition de saint Jean, et, en visitant ensuite Port-Royal des Champs, il y reconnut dans sa forme exacte le vallon du songe. 11 était repris de ses afflictions nerveuses, lorsque mourut M. de Saint-Cyran ; mais il se déclara guéri par