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LIVRE DEUXIÈME.

les autres en les conduisant. La parole sainte le perçait cette fois, comme une épée à deux tranchants, jusque dans la moelle des os ; la tentation en tout sens le criblait. Il ne s’abandonna point pourtant, il se réfugia la face contre terre dans la prière, et, sous tous ces flots amers débordés, il se tint toujours ferme, abaissé dans le fond de l’âme, jusqu’à ce qu’un jour, au sortir de l’oraison, et demandant à Dieu de lui faire voir en quel état véritable il était devant lui, le premier verset qu’il lut en ouvrant la Bible fut celui-ci du Psaume IX : « ’’Qui exaltas me de partis mortis… ; c’est vous qui me relevez en me retirant des portes de la mort, afin que j’annonce toutes vos louanges aux portes de la fille de Sion… Les nations se sont elles-mêmes enfoncées dans la mort qu’elles m’avoient faite. » Et depuis ce moment, il n’eut plus aucune peine là-dessus et rentra dans son premier calme.[1]

Sa crainte était toujours cependant pour ses amis, et

  1. On ne saurait avoir de preuve plus particulière de ce rassérénissement que les charmantes et touchantes lettres qu’il adressa de Vincennes à sa petite-nièce et filleule (édition des Lettres de messire Jean du Verger… 1744), dans un style comme enfantin, mais dans une pensée sérieuse et chrétienne toujours : « Depuis que je suis dans un beau Château où le Roi m’a fait mettre, je n’ai cessé, lui écrivait-il, de prier Dieu pour lui et pour vous, afin qu’il vous fît la grâce d’être toute à lui et de le servir dès votre enfance… Je suis bien aise que vous êtes si gaie, c’est signe que vous aimez bien Dieu et que le Saint-Esprit est avec vous…J’aurois volontiers retenu votre chat, qui étoit si beau ; mais ma chambre est si petite que nous n’y pouvions demeurer tous deux : conservez-le-moi pour un autre temps que je vous le demanderai, et gardez-vous bien de lui donner de la chair à manger, car il prendroit une mauvaise habitude. Les chats et les enfants se ressemblent : ils ne quittent presque jamais les mauvaises coutumes qu’ils ont prises en leur jeunesse…Il ne faut rien aimer en ce monde que le bon Dieu : et, si on aime quelque créature, même le petit chat, que ce soit pour l’amour de Dieu qui la créé et qui l’a fait. » Ce qui respire à chaque ligne de ces