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LIVRE PREMIER

dans le Capitole, quelque prêtre-archiviste des livres de Numa avait pu faire. Ces petits papiers sibyllins ne manquent jamais dans les grandes origines, et l’on y croit toujours. Port-Royal, si sobre qu’il ait voulu être d’imagination, a donc eu sa page prophétique, son baptême mythologique aussi ; il l’a eu comme Rome[1].

Remarquez d’ailleurs qu’on n’a fait que transporter à Port-Royal ce qui est raconté du vœu de Philippe-Auguste lors de la bataille de Bouvines en 1214 ; vœu authentique et retentissant qui donna lieu à la fondation de Notre-Dame-de-la-Victoire près Senlis. On transplanta, en le rejetant à quelques années en arrière, on s’appropria insensiblement ce récit dans le vallon de Port-Royal, par une confusion qui est la méthode de formation ordinaire pour ces légendes :

Souvent un peu de vérité
Se mêle au plus grossier mensonge,

comme Voltaire a dit ; ce qui se doit dire surtout des légendes, qui sont des mensonges sincères.

On est même allé plus tard, et quand on fut devenu érudit, jusqu’à tirer de ce nom de Port-Royal de singuliers rapprochements avec une ville célèbre, non pas avec Rome, non pas avec Carthage, mais avec Hippone ; oui, avec Hippone où saint Augustin fut évêque ; et saint Augustin, on le sait, était la tour de salut, la porte de retour de Port-Royal dans la Grâce. Or, cette Hippone, disait-on, se nommait Hippone la Royale (Hippo Regius) pour se distinguer d’une autre ville du même

  1. L’abbé Grégoire, qui aime Port-Royal, mais qui n’aime point les rois voudrait le bénéfice du nom sans les charges, et il se contente de faire remarquer (dans ses Ruines de Port-Royal) que ce monastère se nommait jadis Port-Roi, quoique jamais les rois n’y aient fait leur séjour.