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APPENDICE.

de Richelieu[1] ; qu’il le visita après sa délivrance ; qu’il assista à son enterrement, ou au moins (car la phrase n’est pas nette) qu’il fut de ceux qui donnèrent de l’eau bénite au mort exposé en son logis. Il n’y a rien dans tous ces faits, pris au pied de la lettre et considérés pour ce qu’ils sont, qui ne soit d’accord avec le caractère de charité, de ménagement envers les personnes que l’on se figure si bien en saint Vincent de Paul, et qui ne soit compatible en même temps avec les craintes et les méfiances qu’il avait conçues touchant la doctrine de Saint-Cyran, méfiances qu’il exprime en mainte occasion, et qui devinrent des certitudes chez lui lorsque le temps eut développé les fruits de l’erreur. Or ces fruits se produisirent vers l’époque de la mort de Saint-Cyran, et à n’en plus pouvoir douter du moment que le Pape eut condamné le livre de Jansénius. Mais ne nous arrêtons pas aux conjectures, nous avons des preuves et des témoignages non récusables.

D’abord, M. de Montmorin, archevêque de Vienne, et M. l’abbé de Rochechouart de Chandenier, deux personnages dignes de la plus haute confiance, ont déposé, dans le procès de la canonisation de Vincent de Paul, que du moment où le vénérable serviteur de Dieu eut reconnu en Saint-Cyran une doctrine dangereuse et suspecte, il rompit tout commerce (du moins étroit et intime) avec lui[2]. Dès ce moment aussi le charitable Vincent ne cessa d’être en garde contre les opinions du novateur ; il les suivait de l’œil en qualité de chef de Congrégation et se préparait même, dès qu’elles donnèrent prise au dehors, à les combattre et à les réfuter. J’ai vu de mes propres yeux un plan de Discours contre les doctrines de Jansénius, écrit en entier de la propre main de saint Vincent de Paul[3]. Ce Discours, qui était probablement une instruction que le Supérieur général des Lazaristes adressait aux prêtres de sa Communauté, a dû être composé de 1640 à 1643 (peut-être dans les premiers mois de cette dernière année). En voici les raisons : 1° il n’y est pas question de la première condamnation que le

  1. Comment M. de Barcos aurait-il su tout ce qui s’est passé dans cet entretien confidentiel ? Il convient lui-même n’avoir appris ce qu’il en dit que par un tiers auquel Vincent de Paul en aurait parlé.
  2. La question de savoir si Vincent de Paul rompit dès lors absolument avec Saint-Cyran, ou s’il cessa seulement de le voir, de le visiter, et s’il fallut l’incident extraordinaire de sa prison pour qu’il lui donnât une marque d’intérêt en allant chez son neveu, est une question plus curieuse qu’importante, et qui ne change rien au fond des choses. Nous n’y insistons pas. Après une étroite amitié et des liaisons grandissimes, il y avait eu refroidissement marqué, interruption dans le commerce habituel : voilà le fait constant.
  3. Plan très détaillé d’un Discours sur la Grâce, manuscrit autographe de saint Vincent de Paul ; huit grandes pages pleines (format d’agenda) in-folio, chez M. Laverdet, rue Saint-Lazare, 24. J’ignore par qui aura été acheté ce manuscrit précieux, qui était alors en vente avec d’autres pièces manuscrites de saint Vincent de Paul.