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PORT-ROYAL.

pape Urbain VIII a faite du livre de Jansénius, qui fut publiée en France dans le courant de l’année 1643 ; 2° on y parle de Saint-Cyran comme s’il vivait encore ; et enfin il ne s’y agit nullement des cinq Propositions qui ne furent extraites que plus tard de l'Augustinus.

Dans cette pièce, Vincent de Paul, après avoir parlé de Baïus et de Jansénius qui n’a fait, dit-il, que reproduire les erreurs déjà condamnées de Baïus, ajoute que « les opinions erronées de l’évêque d’Ypres sont autorisées par M. de Saint-Cyran et les autres personnes du même parti. » Ce témoignage irrécusable de la conviction qu’avait dès lors Vincent de Paul de l’héréticité des sentiments de Saint-Cyran, est un garant certain de son éloignement final pour la personne même du novateur : ce qui n’empêche point qu’il n’ait pu observer jusqu’à la fin des ménagements de charité pour l’homme qui ne s’était trahi que par échappées ; mais bientôt les conséquences qui se produisirent de toutes parts vinrent fixer les doutes de Vincent de Paul, s’il pouvait en conserver, et éclairer à ses propres yeux d’une lumière directe bien des points qui lui avaient déjà paru suspects dans les discours du mystérieux abbé : Jansénius condamné jetait du jour en arrière et ne laissait plus rien d’obscur en Saint-Cyran.

Nous ne reproduirons pas ici les maximes hétérodoxes de Saint-Cyran, telles que les Messieurs de Saint-Lazare ont certifié à plusieurs reprises les avoir recueillies de la bouche de leur saint fondateur, qui affirmait les avoir reçues lui-même en confidence de l’abbé de Saint-Cyran ; nous préférons citer ces paroles ou autres semblables, telles que Vincent de Paul les a consignées dans ses lettres et autres écrits authentiques[1].

Dans une lettre que le saint fondateur de la Mission adressait, le 23 avril 1651, à l’évêque de Luçon pour l’engager à se joindre aux évêques qui demandaient au Pape la condamnation de l'Augustinus, on lit : « Mais, me dira quelqu’un, que gagnera-t-on quand le Pape aura prononcé, puisque ceux qui soutiennent ces nouveautés ne se soumettront pas ? Cela peut être vrai de quelques-uns qui ont été de la cabale de feu N. (Saint-Cyran) qui non seulement n’avoit pas disposition de se soumettre aux décisions du Pape, mais même ne croyoit pas aux Conciles ; je le sais, Monseigneur, pour l’avoir fort pratiqué, et ceux-là se pourront obstiner comme lui, aveuglés de leur propre sens ; mais pour les autres…, il en est peu qui ne s’en retirent. »

Vincent de Paul, écrivant le 25 juin 1648 à un prêtre de la Mission, M. d’Horgni, alors à Rome, lui disait : « Une seconde

  1. Les pièces dont nous allons donner des citations se trouvent dans les deux historiens de saint Vincent de Paul, Abelly et Collet, lesquels ont travaillé sur les Mémoires que leur ont fournis Messieurs de Saint-Lazare.