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PORT-ROYAL.

lorsque M. Arnauld fut venu annoncer à sa sœur, la mère Angélique, la condamnation des cinq Propositions, celle-ci dit entre autres choses : « Il me semble que notre siècle n’étoit pas digne de voir un aussi grand miracle qu’auroit été celui que cinq particuliers envoyés à Rome (qui, bien que pieux et zélés pour la vérité, ne sont pas des Saints qui fassent des miracles) eussent pu, eux seuls, être assez puissants pour résister à toutes les intrigues et les cabales des Molinistes, à toutes les poursuites de M. Rallier, à toutes les lettres de la Reine, et à toute la corruption de la Cour de Rome (sic). Il ne faut pourtant pas perdre courage. L’orgueil des ennemis passera jusqu’à l’insolence ; ils n’étoient pas encore assez superbes, ni nous assez humbles. Dieu a assez de voies pour les rabattre ! »

Puis M. Le Maître, qui est auteur de cette Relation, ajoute que, la mère Angélique lui ayant appris cette nouvelle, il en fut fort surpris et lui dit : « Vous aviez bien raison, ma Mère, de me dire il y a huit jours que cette audience qu’on avoit donnée à M. de Lalane et au Père Des Mares pouvoit être une fourberie[1], et qu’on vouloit se jouer d’eux et pouvoir dire qu’on ne les a condamnés qu’après les avoir entendus, quoique la condamnation fût faite peut-être dès auparavant : Deridetur justi simplicitas. » — Il est vrai, me dit-elle, mais nous ne devons pas pourtant quitter notre simplicité pour leurs finesses. La Grâce du Fils de Dieu a été toujours attaquée par des hypocrites et par des fourbes… »

Dans le cours du même entretien, M. Le Maître ajouta qu’on était à la veille de voir l’effet de deux prédictions qui annonçaient une violente persécution pour la vérité ecclésiastique, et pendant laquelle un fameux directeur d’alors[2] devait être du nombre des persécuteurs. Il lui semblait, poursuivait-il, « qu’il pourroit y avoir du sang répandu. » Une sœur qui était présente s’écria : « Du sang répandu, ma Mère ! Quoi ! on nous tueroit nos Pères ? Cela seroit bien affligeant. » — Et plus loin : « Le dimanche 6 du même mois, elle (la mère Angélique) nous dit : « Plus je considère cette affaire devant Dieu, plus j’espère de sa miséricorde. Les Jésuites et la Cour ont beau faire, la Vérité ne périra point. Nous sommes exposés à leurs injures et à leurs violences, parce que nous sommes gouvernés par les défenseurs de la Grâce du Fils de Dieu, comme sainte Eustoquie et sa mère Paule et les religieuses leurs compa-

    Révérende Mère Marie-Angélique Arnauld, 3 vol. in-12 ; Utrecht, 1742 ; au tome II pages 362 et suivantes.

  1. Il faut savoir que l’auteur de la fourberie, dont il est ici question, n’est autre que le souverain pontife Innocent X. Voilà le respect que les prétendus disciples de saint Augustin avaient pour le chef de l’Église, le vicaire de Jésus-Christ sur la terre !
  2. Saint Vincent de Paul.