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PORT-ROYAL.

Ce qui est remarquable et ne doit cependant pas surprendre, c’est qu’en même temps le saint instituteur de la Mission, Vincent de Paul, tenait le même langage que le Général des Jésuites.

On lit dans sa Vie écrite par Abelly : « Aussitôt que la Constitution d’Innocent X eut été apportée en France, M. Vincent pensant en lui-même au moyen de tirer le fruit qu’on espéroit de sa publication, qui étoit la réduction et réunion des esprits qui s’étoient laissé surprendre au faux éclat de cette nouvelle doctrine, il s’avisa d’aller rendre visite aux Supérieurs de quelques maisons religieuses, et à quelques docteurs et autres personnes considérables, qui avoient témoigné plus de zèle en cette affaire, afin de les conjurer de contribuer en tout ce qu’ils pourroient de leur côté pour la réconciliation du parti vaincu. Il leur dit que pour cela il estimoit qu’il falloit se contenir et se modérer dans les témoignages publics de leur joie, et ne rien avancer en leurs sermons ni en leurs entretiens et conversations, qui pût tourner à la confusion de ceux qui avoient soutenu la doctrine condamnée de Jansénius, de peur de les aigrir davantage au lieu de les gagner. » Ainsi, on le voit, saint Vincent de Paul qui, comme les Jésuites[1], est décoré par Messieurs de Port-Royal du nom de persécuteur, partage aussi avec eux les mêmes intentions charitables de les éclairer, de les ramener aux doctrines saines et à la soumission à l’Église. Eux tous, ils ne voulaient pas tuer le malade, mais le guérir[2]

Pour se convaincre encore mieux que le seul désir de combattre l’erreur, de sauver les âmes, et non de persécuter les personnes, est le vrai but que se proposent les Jésuites dans leurs combats contre le Jansénisme, qu’on écoute de nouveau ce que disent les Supérieurs de l’Ordre dans le secret d’une Correspondance confidentielle.

Le 16 avril 1663, le Père Annat, confesseur de Louis XIV, écrivait au Père Oliva, Général de la Compagnie de Jésus, pour le consulter sur ce qu’il y avait à faire par rapport au Jansénisme. Nous donnerons textuellement sa lettre avec la réponse qu’y fit le Général. On va voir que le Père Annat, dont les Jansénistes ont

  1. Vie de saint Vincent de Paul, par Abelly, chapitre XII. Il semblerait que le supérieur des Lazaristes ait copié (ce qui n’est certes pas) les paroles du Général des Jésuites. M. Olier, autre persécuteur, parlait de même.
  2. Les intentions de Jansénius et de Saint-Cyran, à l’égard des Jésuites, étaient loin d’être aussi bienveillantes. Dans la lettre 124e de Jansénius à son ami, où il est parle de la controverse entre Saint-Cyran et les Jésuites anglais sous le voile de l’allégorie, les Jésuites sont le malade ou le frénétique, Saint-Cyran est le médecin ; et à ce propos Jansénius dit crûment et durement « que le médecin a bien montré sa capacité ; mais que la recette est malicieuse, y ayant du poison dedans pour tuer le malade. »