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PORT-ROYAL.

de base solide. Quelques-uns de nos plus illustres contemporains, satisfont amplement à cette condition : M. de Balzac, des premiers, n’y fait point défaut.

Je ne l’ai personnellement rencontré, de près, que deux fois dans ma vie, cet étrange personnage, dont je ne parlerai même pas ici avec toute la liberté qu’exigerait un portrait fidèle, et que j’aurais peut-être acquise à son égard. Je l’ai rencontré et vu, le moins Port-Royaliste des hommes, nature exubérante et de forte vie, avide de succès actuel et de jouissances, exhalant l’ivresse de soi-même par tous les pores, respirant la convoitise, prodiguant et voulant l’éloge exagéré, démesuré, à bout portant, argent comptant ; mais je m’arrête et ne veux pas dépasser les limites que je me suis imposées… Je dois dire seulement que, dans ces deux seules rencontres où il me parla, j’eus à me garer, en face de lui, du torrent et du déluge de ses louanges qui portaient à la fois sur mon roman et sur mes vers : je n’avais qu’à les lui rendre du même calibre, et l’alliance entre nous était conclue. J’avais chance d’être promu par lui, tout comme un autre, à la dignité de Maréchal de France littéraire.

J’éludai, je me dérobai ; et depuis lors, en écrivant sur lui, je ne pus accorder à cet homme de talent, à la fois excessif et incomplet, qu’une part mesurée d’éloges dans laquelle il entrait du regret et où il perçait peut-être même quelque dégoût. De là sa colère, son besoin de vengeance, et son intrusion sur les terres de Port-Royal.

Il écrivait donc, le 10 août 1840, dans sa Revue parisienne :

« En lisant M. Sainte-Beuve, tantôt l’ennui tombe sur vous, comme parfois vous voyez tomber une pluie fine qui finit par vous percer jusqu’aux os. Les phrases à idées menues, insaisissables, pleuvent une à une et attristent l’intelligence qui s’expose à ce français humide. Tantôt l’ennui saute aux yeux et vous endort avec la puissance du magnétisme, comme en ce pauvre livre qu’il appelle l’Histoire de Port-Royal. Je vous le jure, le devoir de chacun est de lui dire d’en rester à son premier volume, et pour sa gloire, et pour les ais de bibliothèque. En un point, cet auteur mérite qu’on le loue : il se rend assez justice, il va peu dans le monde, il est casanier, travailleur, et ne répand l’ennui que par sa plume. En France, il se garde bien de pérorer comme il l’a fait à Lausanne, où les Suisses, extrêmement ennuyeux eux-mêmes, ont pu prendre son Cours pour une flatterie. »

Ceci déjà nous donne la note et le ton. — Voici le plaisant : c’est à une dame, à une comtesse E. qu’il écrit, qu’il est censé adresser une lettre sur le livre de Port-Royal :

« Vous si instruite des choses religieuses, lui dit-il, vous savez qu’il n’y a pas de point historique mieux établi, plus connu que la lutte de Port-Royal et de Louis XIV. Aucune bataille apostolique, sans en excepter la Réformation, n’a eu plus d’historiens, n’a produit plus de mémoires, plus