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PORT-ROYAL.

s’échauffe de lui-même à la vue d’un si beau sujet et se monte la tête en en parlant :

« Quelle tâche pour un historien, s’écrie-t-il, d’expliquer le pourquoi d’un pareil malentendu dans le gouvernement moral de l’Europe, dont les destinées se jouaient alors ! Aujourd’hui, l’histoire doit procéder à la manière de Montesquieu, dans la Grandeur et la Décadence des Romains, et non à la manière des Rollin, des Gibbon, des Hume, des Lacépède… »

Quel assemblage insensé ! Hume et Gibbon, les historiens philosophes à côté du naïf et crédule Rollin ! et à leur suite, brochant sur le tout, M. de Lacépède du Jardin des Plantes ; on se demande pourquoi.

Suit une grande tirade à effet, toute une profession de foi, à la plus grande louange et gloire de l’absolutisme :

« Louis XIV, sachons-le bien, est le continuateur, par Mazarin, de Richelieu, qui continuait lui-même Catherine de Médicis : les trois plus beaux génies de l’absolutisme dans notre pays… La Saint-Barthélémy, la prise de la Rochelle, la Révocation de l’Édit de Nantes se tiennent. L’acte de Louis XIV est le dénouement de cette immense épopée allumée par l’imprudence de Charles-Quint ; cet acte grand et courageux est, malgré les hypocrites clameurs des Sainte-Beuve de tous les temps, une chose à la hauteur de toutes les choses de ce règne colossal. »

J’ai eu peu à parler de la Révocation de l’Édit de Nantes dans Port-Royal, et je ne l’ai dû faire qu’incidemment : je m’honore cependant d’être compris parmi les désapprobateurs de cet acte inhumain et impolitique. M. de Balzac, à cet endroit de sa diatribe, me perd de vue et développe une théorie historique à l’usage des ultra de tous les partis ; c’est surtout une flatterie grossière au parti légitimiste dont ce parvenu[1] s’était mis par genre et par vanité, et une insulte à la monarchie de Juillet à laquelle il s’imaginait apparemment que j’avais voulu rattacher Port-Royal :

« Ou le peuple, ou Dieu ! Le pouvoir ne peut venir que d’en haut ou d’en bas. Vouloir le tirer du milieu, c’est vouloir faire marcher les nations sur le ventre. J’adore le Roi par la grâce de Dieu ; j’admire le Représentant du peuple. Catherine (de Médicis) et Robespierre ont fait même œuvre. L’une et l’autre étaient sans tolérance. Aussi n’ai-je point blâmé, ne blâmerai-je

  1. Ce parvenu… Je sais le mot que j’emploie et je ne l’applique qu’en tant qu’il convient. Dans notre société, le talent qui arrive au rang qu’il mérite n’est point un parvenu. Aussi n’est-ce point là ma pensée. Mais que dire, je vous prie, d’un homme qu’on a connu s’appelant simplement Honoré Balzac, qu’on a vu même établi imprimeur sous ce nom, et qui, deux ou trois ans après, prend le de, se dit noble, se croit noble peut-être, se suppose issu d’une grande famille ancienne, et affecte, en les exagérant, toutes les opinions de la classe la plus aristocratique ? Chez un homme ordinaire, ce serait de la pure sottise : on en est quitte, puisqu’il y a talent, pour dire qu’il y a un accès d’ivresse, un grain de folie.