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LIVRE PREMIER

Tout en ne voulant pas surcharger mon récit de trop minutieux détails, il me faut accepter pourtant l’une des premières conditions de ce sujet, qui est d’être l’histoire d’un monastère. Et puis il n’y a plus guère de monastères, et il ne s’en refera guère, j’imagine. Quand donc on en étudierait et on en saurait un assez en détail dans le passé, il n’y aurait pas si grand inconvénient. L’histoire de l’un représente celle de beaucoup d’autres, et en dispense. On aura ainsi dans Port-Royal un échantillon complet, et l’un des derniers, de ce qu’était un couvent dans son relâchement d’abord, puis dans sa réforme, dans sa sainteté studieuse et pénitente ; un vrai couvent modèle.[1]

L’abbé de Citeaux, soupçonnant que ses ordres n’étaient pas exécutés et se méfiant à bon droit de l’abbesse, revint à Port-Royal et dressa, à la date du 1" février 1574, une nouvelle Carte de visite, qui semble plus directement porter sur les désordres de cette dame, sur les inconvénients de l’entrée qu’elle ménage dans la maison à un prétendu receveur des rentes, nommé Blouin. Elle y est menacée d’excommunication si elle n’obéit aux défenses désormais positives. C’est peu de temps après qu’elle quitta l’abbaye et se retira à Colinance. La dame Jeanne de Boulehart lui succéda à dater de cette fuite, en 1575, et maintint les choses telles quelles, débonnairement, sans scandale ni réforme. Il est dit à sa louange, dans son Épitaphe, qu’elle na point délaissé sa maison, a bien gardé ses re-

  1. Je remarque, à propos de ce mot de couvent, que jamais nos historiens et nos gens de Port-Royal ne l’emploient pour désigner leur maison : les seuls termes dont ils usent sont abbaye ou monastère, jamais couvent, soit qu’ils y vissent une impropriété, soit qu’ils y crussent voir une légère défaveur déjà, comme cela a été sensible depuis, une gravité moindre. Aussi tâcherai-je de ne l’employer que rarement.