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LIVRE PREMIER

dinal : «Il me souvient que lorsque vous prêchâtes à Saint-Merry, MM. Marion et Arnauld vous furent ouïr. M. Marion dit en sortant : Ce n’est pas un homme qui prêche, c’est un Ange. » Il ne faut pas trop s’étonner, après cela, d’entendre le cardinal Du Perron rendre ce jugement : « M. Marion est le premier du Palais qui ait bien écrit, et possible qu’il ne s’en trouvera jamais un qui le vaille. Je dis plus : que, depuis Cicéron, je crois qu’il n’y a pas eu d’avocat tel que lui. Je fis son Épitaphe à Rome, où j’étais quand on me dit la nouvelle de sa mort ….»

En rabattant tout ce qu’on voudra de ce prêté-rendu d’éloges que Du Perron payait à l’un de ses admirateurs dans la manière un peu emphatique du seizième siècle, il n’est pas indifférent pour nous de trouver dès l’abord, dans l’aïeul temporel des mères et des principaux solitaires de Port-Royal, le premier du Palais qu’on loue d’avoir bien écrit. C’est de bon augure pour la littérature saine et le bon style, jusqu’alors si rare, qui va sortir de sa race.

À propos de ce premier qui ait bien écrit, notons pourtant que l’éloge, avec variante de noms, s’est bien répété ; on l’a précisément accordé à plusieurs, vers ce temps-là, pour leur prose ; on les a loués comme les premiers qui eussent fondé le bon style : plus d’un sans doute y conspirait. J’omets d’Urfé, un peu hors de ligne : mais cela s’est dit successivement du garde des sceaux Guillaume Du Vair, de Du Perron lui-même, puis de certains prédicateurs ou traducteurs, de Lingendes, de Nervèze[1], de Coeffeteau, puis encore de

  1. Il y a plusieurs Lingendes, l’un (Jean) poète de l’école de Malherbe, l’autre (Claude) jésuite et prédicateur, et un autre (Jean) prédicateur aussi, évêque : j’entends ici parler de ce dernier, dont on a quelques oraisons funèbres imprimées, et même de l'avant-dernier, dont les sermons, bien que publiés d’abord en latin, avaient été prononcés en français. Quant à Nervèze, secrétaire de la Chambre du roi, il a fait, sans être prédicateur, un Discours funèbre à l’honneur de la mémoire de Henri IV, des écrits de dévotion affective et mystique. On peut voir dans la Bibliothèque française de Sorei le chapitre du Progrès de la Langue : ces noms d’alors y sont entassés dans toute leur confusion.