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PORT-ROYAL.

d’Ablancourt ; on l’a redit de Patru au barreau bien longtemps après M. Marion. Et tous ces éloges ont passé : ils ne sont recueillis que comme des curiosités littéraires s’appliquant à des hommes une fois célèbres, et qu’on ne lit plus, qu’on ne trouverait même plus à lire. Tant il était difficile de fonder la bonne prose : tantae molis erat ! tant plusieurs devaient à leur tour s’efforcer et mourir à la peine, comme dans un fossé qu’on a à combler, et qui se remplit de morts pendant un assaut. Cette belle et vraie prose que tels ou tels illustres avaient trouvée, disait-on, lesquels bientôt on ne connaissait plus, cette prose qui était toujours à refaire de M. Marion jusqu’à Patru, Pascal, lui, l’a saisie une bonne fois et l’a exprimée du premier coup à jamais : invenit.

Montaigne déjà avait trouvé, en sa Gascogne et dans sa tour de Montaigne, un style de génie, mais tout individuel et qui ne tirait pas à conséquence. Pascal a trouvé un style à la fois individuel, de génie, qui a sa marque et que nul ne peut lui prendre, et un style aussi de forme générale, logique et régulière, qui fait loi, et auquel tous peuvent et doivent plus ou moins se rapporter : il a établi la prose française. Dans l’intervalle de Montaigne à Pascal ont eu lieu ces efforts laborieux et je n’ose dire stériles, mais bien nombreux et sans cesse à recommencer, des Marion, Du Perron, Du Vair, Nervèze, Lingendes, Coeffeteau. Tous, ils se peuvent résumer et abréger dans un seul nom qui les représente et qui, à ce titre, les a absorbés, dans Balzac, ce grand