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LIVRE PREMIER

libraire les passages des auteurs tout imprimés, qu’il coupait lui-même et réduisait sous certains titres, Satire à part, c’est possible, et même probable. Son fils d’Andilly nous expose comment les présentations d’officiers de la Couronne, connétables, amiraux, ducs et pairs (les présentations qu’on faisait d’eux au Parlement) sont le plus difficile endroit de l’éloquence, parce qu’elles tiennent, dit-il, de ce genre démonstratif et sublime qui ne doit rien avoir que d’élevé, comme le Panégyrique de Trajan, par Pline, qui en est le chef-d’œuvre : «Or, feu mon père a fait seul quatorze de ces actions extraordinaires, dont tout le reste du Palais ensemble n’en a fait qu’onze ou douze.»[1] Et un jour, à l’une de ces présentations où il s’agissait de M. de La Trimouille, l’orateur, remontant aux ancêtres, se jeta sur la bataille de Fornoue : M. le duc de Montpensier, prince du sang, présent à la harangue, tira à demi son épée du fourreau, se croyant à l’action même ; voilà un triomphe. Mais M. d’Andilly ne dit pas qu’un jour, plaidant contre un Génois huguenot sur qui l’on avait exercé une confiscation, M. Arnauld énuméra si au long les mauvais offices des Génois contre la France, et s’étendit si à plaisir sur le chapitre d’André Doria, que le Génois impatienté s’écria en baragouinant : «Messiours, c’ha da far la repoublique de Gènes et André Doria avec mon argent ?» ce qui coupa court à la harangue.

Dans une cause pour M. de Guise contre M. le Prince,

  1. Ce Panégyrique de Trajan a été funeste d’influence : venu à l’extrémité des siècles brillants et le dernier en vue, comme bouquet oratoire, il a servi de modèle direct à toute la suite des rhéteurs gallo-romains, à ces prédécesseurs ou contemporains d’Ausone, dont le goût a souvent tant de ressemblance, d’identité comme l’a remarqué M. Ampère, avec le genre Louis XIII. Rien ne devait plus ressembler aux panégyriques officiels des Eumène, des Pacatus et de leurs successeurs, qu’une de ces harangues de présentation par M. Arnauld.