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PORT-ROYAL

M. Arnauld, sur sept audiences tout entières qu’elle dura en tint lui seul plus de quatre. En 1600 quand le duc de Savoie vint en France, le roi Henri IV voulant lui donner un magnifique échantillon de son Parlement, le premier président Achille de Harlay commanda à M. Robert et à M. Arnauld de se préparer dans quelque belle cause ; et ce fut M. Arnauld qui la gagna devant tous ces illustres témoins. Pierre Matthieu (dans son Histoire de France sous Henri IV) a donne au long le récit de cette séance d’apparat, et même les plaidoyers en entier. Le roi, pour introduire son hôte avec moins de presse et de suite, aborda par la rivière, du côté du jardin du premier président. Les deux princes se mirent en la loge de la Chambre dorée, d’où ils pouvaient tout voir et ouïr sans être vus. La cause pathétique, exprès choisie, ne tarda pas à retentir. Il s’agissait d’un nommé Jean Prost, assassiné. Sa mère, ayant pris soupçon du maître du logis où il demeurait, qui était un boulanger et qui s’appelait Bellanger, l’avait dénoncé, et il s’en était suivi pour l’accusé la question ordinaire et extraordinaire ; mais, quelque temps après, deux voleurs, arrêtés pour d’autres crimes, s’étaient avoués les assassins de Prost. De là, le torturé demandait réparation, dommages et intérêts, taxant la mère de calomnie. M. Arnauld défendait la mère ; M. Robert plaidait pour le boulanger demandeur, et il commençait ainsi : «Messieurs, les poètes anciens ayans à plaisir discouru de plusieurs combats advenus au mémorable siège de Troye, récitent que Telephus, fils d’Hercules, ayant en une rencontre esté griefvement blessé d’un coup de lance par Achilles…, alla prendre advis de l’oracle d’Apollon…» Le tout pour dire que la lance d’Achille pouvait seule guérir les blessures faites par Achille, et que les arrêts du Parlement, présidé et guidé par un Achille (de Harlay), pouvaient seuls réparer les condamnations