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LIVRE DEUXIÈME.

liants, plus humains, qui admettaient le salut par les bonnes œuvres, et la Grâce soumise à la liberté. Des personnages éminents dans l’Église ont été plus ou moins de cet avis aux divers temps : ainsi les cardinaux Gontarin, Sadolet, le docteur Génebrard de la Faculté de Paris.[1] Parmi les adversaires survenants de Jansénius, je trouve le Père Daniel qui a écrit la Défense de saint Augustin pour prouver qu’il n’a rien d’outré ; mais je peux lui opposer son confrère le Père Rapin, qui, dans son Histoire manuscrite (publiée depuis) du Jansénisme, n’a pas craint de raconter au long les vicissitudes et ce qu’il appelle les aventures de la doctrine de ce grand saint.[2]

  1. Au tome III de la Bibliothèque critique de Richard Simon, on peut lire les chapitres XIII, XIV, XV et XXXIX, où ce point est discuté.
  2. C’est à la page 459 et suiv. du livre imprimé. Le passage est curieux. Selon le récit de Rapin, dans un voyage et séjour qu’il fit à l’abbaye de Fontevrault en 1671, près de la docte abbesse, il eut occasion de connaître un ecclésiastique du voisinage nommé Balthazar Pavillon, qui employait tous ses loisirs à approfondir par l’étude et sans passion la question, si en vogue alors, de la Grâce. Dans les conversations qu’il eut avec le Père Rapin, il lui fit part de ses résultats qui renversèrent bien des idées du spirituel Jésuite ; celui-ci en convient et n’a pas l’air du tout d’en être fâché. Ce Balthazar Pavillon me fait l’effet, par moments, d’un interlocuteur responsable assez commode. Rapin a grand soin de déclarer d’abord que ce n’est pas son propre avis qu’il expose, mais celui du solitaire Balthazar ; moyennant cette précaution, il pousse sa pointe sur saint Augustin, exposant comme quoi le grand docteur avait le génie trop vaste pour être fort exact, qu’il a raffiné sur les dogmes de l’Église de son temps, qu’il a innové, que sa doctrine sur la Prédestination, dans son dernier développement, n’a jamais été admise sans protestation, qu’elle a bien plutôt été condamnée à diverses reprises dans la personne de Gotschalk, de Wiclef, de Baïus… Mais je laisse Rapin en vis-à-vis du Père Daniel (Opuscules, tome II, page 214) : qu’ils vident la contradiction entre eux. — J’ajouterai cependant encore une anecdote de source très-sûre. Le duc d’Anjou, petit-fils de Louis XIV, le futur roi d’Espagne Philippe V, avait été fort bien élevé et par un sous-précepteur et par un lecteur (M. Vittement) qui avaient eu soin de lui faire lire divers endroits essentiels de saint Augustin. On avait de plus accoutumé le prince à