Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t2, 1878.djvu/155

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
145
LIVRE DEUXIÈME.

comme hérétiques, erronées et fausses, des sentences de ce même Augustin, et des sentences qui ne sont pas des opinions accessoires et jetées en passant dans le feu du discours, mais des plus inhérentes à l’ensemble même de ses écrits, et les bases de sa doctrine du libre arbitre et de la Grâce ? — Personne, ajoute-t-il, ne voudra croire cela, hormis le téméraire qui voudroit croire en même temps que le Siège Apostolique s’est trompé ou autrefois ou maintenant, et qu’il est en contradiction avec lui-même. »[1]

Jansénius, en d’autres endroits, réitère ce dilemme incommode, et on peut conjecturer qu’il s’en embarrassait moins au fond, qu’il n’en voulait embarrasser les autres, et Rome tout d’abord.

À le bien prendre pourtant, il n’était peut-être pas si heureux pour les Jansénistes de réussir à contrarier Rome sur un point de détail, où Rome ne faisait que céder à une pensée conciliante, à une sorte de progrès d’opinion conciliable avec la foi, et où elle ne se départait, après tout, de saint Augustin que pour retrouver le docte et vertueux Clément d’Alexandrie et d’autres Pères plus exorables. Jansénius, à ces coins anguleux de doctrine, trouvait moyen de tourner à la fois le dos à Rome et à Érasme, à la prudence catholique et à la tolérance humaine. Personne ne lui en sut gré. À force d’être logique, il oubliait trop tout ensemble d’être habile et charitable.

Dans trois livres consécutifs, Jansénius traite de l’état de pure nature. On donne ce nom à un état où l’on suppose que Dieu aurait pu créer l’homme sans péché, mais sans foi, sans grâce, sans charité surnaturelle, sujet à la mort, aux passions ; c’est en un mot la condition même

  1. Au chapitre XXVII du livre IV du traité De Statu Naturœ lapsœ.