où les Pélagiens et Jean-Jacques supposent que l’homme se trouve actuellement ou essentiellement. Les théologiens scolastiques ont seulement soutenu que cette condition était possible, si Dieu l’avait voulu : Jansénius, au contraire, s’efforce de réfuter profondément la possibilité d’un tel état sans la Chute, et à le montrer incompatible avec la bonté et la justice du Créateur. Il s’attache à faire ressortir toutes les misères inhérentes à un tel homme, et l’incapacité où il serait d’atteindre à aucun bonheur véritable ; par conséquent il ne peut voir dans un pareil état, peu différent du nôtre, qu’une peine aussi et la suite du péché. Tout ce qu’on peut alléguer contre l’état de nature, tant préconisé depuis par Rousseau, se trouve avec surabondance dans cette portion de l’Augustinus. Mais, chose singulière ! Jansénius, qui nous semble en cet endroit avoir déjà Rousseau (sous le nom de Pélage) pour adversaire, se rencontre tout d’un coup face à face en opposition formelle avec les mêmes pontifes Pie V et Grégoire XIII, qui ont jugé condamnable chez Baïus l’assertion que voici : « Dieu n’auroit pas pu (conformément à sa bonté, à sa justice) créer, dès le commencement, l’homme tel qu’il est aujourd’hui, » c’est-à-dire tellement dénué de bonheur et des moyens d’y atteindre. Ici Jansénius exprime de nouveau, et très-au long, son étonnement, son embarras de cette rencontre : Hœreo, fateor …[1] : « Que si, en soutenant, dit-il, la doctrine de saint Augustin formelle sur ce point, on doit craindre d’aller contre le Décret de deux Pontifes, on ne doit pas moins redouter, en la reniant, de blesser bien plus fort le Siège Apostolique dans la personne de sept Pontifes et
- ↑ Au chapitre XXII du livre III De Statu purae Naturae. Les ennemis ne manquèrent pas, on peut le croire, de tirer bon parti à Rome de tous ces Hœreo, fateor ; et les avocats jansénistes ne savaient qu’en faire.