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LIVRE DEUXIÈME.

le premier défenseur de la vérité et son avocat-général contre tous venants. Ce n’était plus comme pour l’Aurelius, dix années auparavant, un pur succès de théologien ; nous approchons des Provinciales : les gens du monde, les gens d’épée, les femmes spécialement (le Père Petau s’en plaint), lisaient le livre et étaient touchées. L’accroissement des solitaires de Port-Royal date de là ».[1]

De leur côté, les Jésuites, atteints et blessés dans leur doctrine autant que dans la personne du Père de Sesmaisons, ne furent pas en retard d’emportement et de vengeance. Un Père Nouet, dès le dernier dimanche d’août, dans la chapelle de la maison professe de Saint-Louis (rue Saint-Antoine), se mit à dénoncer en chaire l’ouvrage qui était à peine en circulation, et à signaler les soi-disant réformateurs : « Ce sont, s’écriait-il, des personnes particulières, gens inconnus, qui font comme Calvin, lequel, avant que de répandre ouvertement son venin, demeura quelque temps caché dans des grottes qui sont auprès de

  1. La contradiction pourtant qu’excita le livre contribua fort à le faire rechercher et goûter ; le bon abbé de Marolles la remarqué avec bon sens ; cet abbé était alors, et pendant que le livre achevait de s’imprimer (juin-juillet 1643), aux Eaux de Forges, où il avait accompagné la princesse Marie de Gonzague : « Pendant le séjour que nous fîmes en ce lieu-là, dit-il, on nous y montra quelques feuilles du livre de la Fréquente Communion de M. Arnauld, lesquelles nous semblèrent bien écrites. Mais comme il traite amplement cette matière, de sorte que cela fait un volume d’une assez juste grosseur, dont le sujet n’est pas le plus agréable du monde, je crois que, si ses adversaires ne s’en fussent pas émus si fort qu’ils ont fait, cet ouvrage auroit eu beaucoup moins de débit qu’il n’a eu, parce qu’outre son propre mérite, il faut avouer que la contradiction a bien aidé à le faire connoître et à le faire estimer. » On aura remarqué ces quelques feuilles qui furent communiquées à la princesse Marie avant la publication ; c’était une primeur dont on favorisait les amis du beau monde et ceux qu’on voulait s’acquérir. La princesse Marie fut une des conquêtes de la Fréquente Communion