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PORT-ROYAL.

Bourges, où j’ai été. » Et les qualifications de phantastique, mélancholique, lunatique, de scorpion et serpent ayant une langue à trois pointes, aiguisaient le tout. Ce Père avait professé la rhétorique précédemment, et son éloquence s’en ressentait. Le fond du reproche était qu’on voulait rendre les autels déserts et la sainte table inaccessible, sous prétexte de les honorer, et qu’il y avait partie liée (le mot est peu élégant) de couper les vivres aux fidèles.[1]

Ces sermons du Père Nouet, partis du centre même et du quartier général de la Société, firent vacarme : ils remplirent tout septembre et octobre, huit dimanches consécutifs : tant de violence et de précipitation ne s’expliquait pas. Le maréchal de Vitri, qui y assistait au début, dit tout haut en sortant, « qu’il falloit qu’il y eût anguille sous roche, et que les bons Pères ne s’échauffoient pas d’ordinaire si fort pour le pur service de Dieu. » L’archevêque de Tours, Victor Le Bouthillier (oncle de M. de Chavigny et de l’abbé de Rancé), présent à l’un de ces sermons, et l’un des approbateurs du livre d’Arnauld, eut tout lieu d’être encore plus surpris ; car c’était, assure-t-on, le Père Nouet en personne qui, quelques

  1. On lit dans le Journal de M. d’Ormesson (12 octobre 1643) : « M. Talon dit que chacun trouvoit mauvais que les Jésuites prissent à tâche de réfuter ce livre (le livre de la Fréquente Communion) dans leur chaire, par la bouche du Père Nouet, qui lui imputait quantité de fausses opinions, dont il ne parlait point du tout ; qu’ils se faisoient grand tort, et que, si le roi n’imposoit silence à chacun et ne défendoit d’écrire, cela diviseroit toute l’Église ; que le nonce en avoit fait instance auprès de la reine et qu’il étoit pour M. Arnauld. J’avois acheté et lu ce livre, et n’y avois rien vu que de très bon. » La prétention des Jésuites, en effet, c’est qu’il y avait dans ce livre d’Arnauld « un dessein général et découvert, et un autre dessein « particulier et caché. » Ils y voyaient et y dénonçaient des arrière-pensées abominables. Nous qui lirons jusqu’au bout dans l’âme et dans les arrière-pensées d’Arnauld, nous saurons à quoi nous en tenir. Le calvinisme secret d’Arnauld est une chimère et une imposture.