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PORT-ROYAL.

évêques se plaignirent du scandale et demandèrent satisfaction. Le 28 novembre, le pauvre Père Nouet, tête nue et à genoux, assisté de quatre Pères de son Ordre, dut signer un acte de désaveu, et ne put s’empêcher de répandre quelques larmes : « humiliation involontaire, qui étoit infiniment au-dessous des excès de ce Jésuite, » nous dit le docteur Hermant qui aurait voulu je ne sais quoi de plus.[1]

Le savant et respectable Père Petau qui, pour réparer l’incartade du Père Nouet, se mit aussitôt à écrire un gros livre[2] contre celui d’Arnauld, commence lui-même son premier chapitre en rappelant cette coutume d’une ancienne cité d’Italie, selon laquelle tout particulier qui voulait proposer une nouveauté devait paraître en public la corde au col, attachée d’un nœud coulant, de telle sorte que, si sa nouveauté n’agréait, il fût incontinent étranglé : « Cette façon, ajoute l’excellent Denys Petau qui pense à Arnauld, pourra sembler un peu trop rigoureuse, mais l’intention en étoit louable, voire elle est nécessaire… » Prenons garde ! sommes-nous

  1. Histoire (manuscrite) du Jansénisme, liv. III, chap. IV. — On lit à ce propos, dans le Journal de M. d’Ormesson : « Le lundi, 16 novembre (1643), mon père ma dit comme les évêques s’étoient assemblés chez le cardinal de La Rochefoucauld pour voir ce qu’ils feroient contre les Jésuites qui les avoient taxés d’ignorance sur l’approbation du livre de M. Arnauld. Les Jésuites, à leur seconde assemblée, offrirent toutes sortes de soumissions, désavouèrent le Père Nouet qui avoit prêché, même plusieurs livres qu’ils avoient faits, comme n’étant jamais sortis de chez eux ; et néanmoins il paroissoit un nouveau livre fait par un des leurs qui nommoit ces livres et les auteurs qui étoient de leur congrégation. La facilité qu’ils ont à souffrir que leurs Pères écrivent est pareille à celle de les désavouer, s’ils ne sont pas bien reçus. Cette affaire les a fort décriés, comme ayant ou mauvaise conduite ou mauvais dessein. » C’était là l’opinion assez générale des honnêtes gens du temps, surtout dans le monde parlementaire.
  2. De la Pénitence publique (1644).