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LIVRE DEUXIÈME.

nous considérions attentivement quelle est la miséricorde et l’extrême bonté de Dieu pour nous, nous n’oserions pas seulement lever les yeux vers le Ciel, mais nous demeurerions dans une modestie et une humilité continuelles. Car, sans nous arrêter à ce que, lorsque nous n’étions pas encore, notre divin Créateur nous a donné l’être, et qu’étant morts par le péché et par la désobéissance de notre premier père, il nous a de nouveau vivifiés par son propre sang, et fait que toute la terre nous est assujettie et le Ciel même en quelque manière : comment est-ce que, maintenant que nous l’offensons tous les jours, il ne nous anéantit pas, et que cette nature, immuable et éternelle, et cet œil qui découvre toutes choses, attendent notre conversion avec une si extrême patience ? Comment est-ce que, blasphémant si souvent contre ce Dieu tout-puissant, il nous console, il nous caresse par la compassion qu’il a de nous, et fait tomber la pluie du Ciel pour le soutien de notre vie ? Combien y a-t-il de méchants qu’il cache et qu’il ne livre pas entre les mains de la justice lorsqu’ils vont en intention de tuer et de voler, de peur qu’ils ne soient pris et punis ! Combien y a-t-il de pirates qu’il ne permet pas qu’ils fassent naufrage, quoiqu’ils ne respirent que le pillage et le meurtre, mais défend à la mer de les engloutir, afin qu’ils renoncent à leurs crimes et se convertissent !… Combien y en a-t-il qui allant dans les cavernes pour y mal faire, ou querellant les passants, évitent les dents des chiens et les mains des hommes ! Et lorsque je suis quelquefois à table avec des femmes criminelles ou avec des hommes sujets à s’enivrer, ou que je m’entretiens avec d’autres qui souillent leurs langues par l’impureté de leurs paroles, ou que je me rends participant de quelques-uns de ces péchés qui se contractent dans les occupations du siècle, les abeilles volent de tous côtés le long des ruisseaux et des vallées pour ramasser dans les prairies de quoi former ce miel si doux à ma langue qui prononce tant de paroles injustes et déshonnêtes ! les raisins attendent avec impatience les chaleurs de l’été pour mûrir, afin de satisfaire mon goût et de réjouir mon cœur qui déshonore si souvent Celui qui lui a donné l’être ! les fleurs se pressent à l’envi pour donner du plaisir à mes yeux, qui abusent de leurs regards pour porter les autres au mal ! et le figuier souffre la rigueur