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LIVRE DEUXIÈME.

au même rôle d’aigreur, sans le savoir, par ses plaisanteries soi-disant poétiques, ses Enluminures de l’Almanach des Jésuites, si opposées à l’esprit de vérité. M. de Saci ne vit jamais les choses devant lui qu’en longueur, pour ainsi dire, sur une ligne très-étroite et mince, et dans un horizon assez restreint ; il se rachetait en élévation sur l’autre ligne profonde et haute, selon laquelle il rapportait tout au Ciel. Mais M. de Barcos, bien moins net et certainement moins ingénieux, jugeait peut-être mieux de l’ensemble.

Dans le même temps qu’il aurait voulu qu’on tempérât quelques expressions outrées d’Arnauld, le jeune Saci engageait M. Le Maître à être moins scrupuleux en ses traductions pour certains mots de médiocre élégance, mais fidèles et suffisants. On pressent là encore l’homme pour lequel le bel art moderne ne fut jamais rien, et qui était né comme légèrement suranné : chose remarquable en ce qu’on le voit d’ailleurs très-lettré, et, je le répète, ingénieux, industrieux. La pensée réfléchie et repliée l’attirait uniquement : « Il m’a témoigné souvent, écrit Fontaine, qu’il admiroit comment des personnes d’esprit[1] pouvoient préférer les Pères grecs aux Pères latins. « Je sais, disoit-il, qu’ils le font parce qu’il paroît plus d’éloquence dans les Pères grecs que dans les latins ; mais on oublie que la véritable éloquence est dans les choses et non dans les expressions. On estime bien plus un peintre qui a du dessin que celui qui n’a que le maniement du pinceau. » Ainsi pas une couleur chez M. de Saci, pas une flamme ; un flegme extérieur, une pâleur monotone, un ton uniforme, puis aussi un dessin net, fin, menu, continu, un dessin au premier abord sans grâce, ineffaçablement gravé dans sa ligne terne. Je

  1. M. de Tréville, par exemple.