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PORT-ROYAL.

voudrais faire passer dans les autres l’impression de ce genre de beauté tel que je le conçois, et qui, en fait d’éclat et de brillant, n’en a pas même l’ombre ; mais beauté morale, beauté pieuse, intérieure ou plutôt rentrée, toute constante et patiente, comme obstinée en une seule pensée et dès ici-bas immuable. Fontaine m’y va aider ; il nous a peint admirablement son cher maître en de longues pages d’où je n’ai à tirer que les traits qui concluent :

«Ce que M. de Saci chercha le plus dans la lecture de saint Augustin, ce fut de concevoir une grande idée de Dieu. Il en faisoit des recueils à ce sujet ; et dans le cours de sa vie j’ai vu avec quel soin il faisoit de tous les endroits de l’Écriture comme un tissu qui représentoit ce grand objet, dont on peut dire qu’il étoit tout occupé et tout pénétré ; et ceux qui, à sa mort, ont dit de lui que l’esprit de la crainte du Seigneur l’avoit rempli, ont fait son véritable portrait.»[1]

Ces paroles, dans leur première expression, semblent assez communes, souvent appliquées, et n’avoir rien de bien particulier à notre personnage. Poussons ! elles vont, en se réitérant, devenir plus précises, plus incisives ; à force de les serrer et d’y repasser le trait, elles vont prendre feu et faire éclair.

«On ne peut, continue Fontaine, se représenter jusqu’où cela alloit, et, s’il est beau de voir un jeune homme avoir tant de circonspection à chacune de ses actions,[2] il l’est encore plus d’en approfondir la cause, et de voir un cœur si pénétré de la crainte chaste de Dieu et du respect de sa grandeur infinie, qu’il étoit comme dans un continuel tremblement en sa présence. Ce qui lui donnoit cette gravité que l’on admiroit, c’est qu’il se disoit sans cesse cette parole

  1. Mémoires (1738), tome I, p. 339.
  2. «Je suis bien aise que vous ayez vu mon neveu ; on apprend la sagesse et le recueillement dans sa conversation, » écrivait la mère Agnès à l’une des sœurs de Port-Royal (19 novembre 1651).