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LIVRE DEUXIÈME.

tous les mots ; quant à la dernière main, à la rimaillerie mnémonique, ç’avait été œuvre de poète qu’on avait réservée au maître. Eh bien ! M. de Saci, à la suite du mot grec qui signifie fumier ou engrais, ajoutait ce que nous avons pris pour une cheville, et qui était une douce pointe, un trait charitablement malicieux :

Δεῑσα, fumier aux champs a vogue.

Or, cette douce pointe, qui était toute sa sentence d’arbitre, suffisait pour faire rentrer les humbles solitaires en eux-mêmes ; et c’est ce que Fontaine appelle la grâce chez M. de Saci.

Je suis naturellement conduit par cet éloge à parler toutefois avec sévérité de ce que je trouve la seule fausse démarche de M. de Saci, d’un écrit de sa façon des plus contraires à l’esprit de Saint-Cyran, et que je voudrais retrancher : les Enluminures de l’Almanach des Jésuites (janvier 1654). Les Jésuites, dont le goût fut longtemps détestable et tout à fait de collège, avaient publié, en décembre 1653, un Almanach qu’ils intitulèrent : la Déroute et la Confusion des Jansénistes. C’était une manière de célébrer et de figurer leur récent triomphe à Rome où avait paru enfin la Bulle d’Innocent X. On voyait en tête de l’Almanach une Estampe allégorique : le Pape, assis sous la Colombe du Saint-Esprit entre la Religion qui porte la croix, et la Puissance de l’Église qui porte le casque, lançait sentence contre le Jansénisme. Jansénius, en habit d’évêque, tout effaré et déployant des ailes de diable, s’enfuyait, son livre en main, vers Calvin en personne, qui déjà, dans son coin, accueillait à bras ouverts une dame ou religieuse janséniste en lunettes. Je fais grâce des autres détails de cette ignoble facétie. M. de Saci jugea à propos d’y répondre. Les Jésuites ayant répandu seize mille exemplaires, dit-on, de l’outrageux Almanach, on avait quelque raison peut-être à Port-Royal