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LIVRE DEUXIÈME

en leur parlant avec quelque élégance ; mais on ne les édifie pas toujours en cette manière… La nourriture sans l’exercice n’est pas plus dangereuse au corps qu’elle l’est aux âmes… La sobriété spirituelle n’est pas de moindre importance, ni de moindre obligation, que la corporelle… Je me souviens toujours que feu M. l’abbé de Saint-Cyran[1] me disoit autrefois, que comme Dieu a réduit sa parole et son Verbe dans un état bas et méprisable par l’Incarnation, pour sauver les hommes par ce rabaissement, il a voulu aussi honorer ce mystère dans son Écriture, en proposant cette même parole sous des expressions foibles, informes et obscures, afin de guérir ainsi les esprits superbes des hommes, et de les rendre capables de sa Grâce. Il a cru qu’il leur suffisoit de leur faire goûter en ce monde la bonté de sa vérité dans l’Écriture, et il s’est réservé à leur en faire voir toute la beauté, tout l’éclat et toute la majesté en l’autre vie, où ils ne seront plus en danger d’en abuser et de s’en éblouir, comme ils y sont toujours ici. Voilà l’ordre de Dieu qu’on court risque de troubler peut-être sous prétexte d’édifier les âmes.»

Il y a bonheur à retrouver intact l’esprit avec le nom de M. de Saint-Cyran dans les paroles de son successeur près de mourir.

M. de Saci survécut peu à cette conversation, et Fontaine ne le revit pas. Le 4 janvier 1684, par un horrible hiver, il mourut âgé de soixante et onze ans. La veille, jour de Sainte-Geneviève, il avait dit encore la messe à sa chapelle domestique ; après le dîner de midi, il avait, pendant deux heures, entretenu les personnes, là présentes, du profit spirituel à tirer de la fête de cette sainte, et de celle des saints en général ; une de ces personnes, en l’écoutant, n’avait pu s’empêcher de dire : «Il parle des choses de la foi comme s’il les voyoit ;

  1. Il veut sans doute parler du dernier abbé de Saint-Cyran, M. de Barcos, qui, dans sa lettre du 13 janvier 1669, lui avait dit précisément cela. Mais, ici, oncle et neveu se confondent.