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PORT-ROYAL.

siècle était assez peu représentée directement sous leurs yeux par quelque grand personnage vivant. Descartes, bien qu’il eût ouvert une large porte à l’examen de la raison réduite à elle seule, avait, dès le second pas, rejoint les grandes solutions métaphysiques, conformes au Christianisme ; et son génie novateur, mais religieux, qui certes eût donné de l’ombrage à Jansénius ou à Saint-Cyran, et qui n’obtenait pas grâce devant Pascal, séduisait Arnauld, qui n’en devait combattre le développement que dans Malebranche, et encore sans se douter de la parenté avec Spinosa. Malebranche et Spinosa, ces deux jumeaux ennemis, issus de Descartes, et encore éloignés d’ailleurs à cette date où nous sommes, n’étaient point, précisément à cause de leur élévation métaphysique et de leur appareil spéculatif, de ces philosophes bien redoutables pour le siècle et pour le milieu de la société. On n’en pouvait dire autant de Montaigne, qui allait s’insinuant, et qui devait faire si aisément la chaîne et comme le pourparler jusqu’à Bayle et au delà. Il y avait, vers cette moitié du dix-septième siècle, assez d’écrivains, soit graves et accrédités auprès des doctes, tels que La Mothe-Le-Vayer, soit frivoles ou à la mode auprès des frivoles, tels que Saint-Évremond, il y avait dans le monde assez d’esprits libertins, pour dénoter et accuser la persistance de ce mal philosophique qu’on appelait à Port-Royal et qu’on spécifiait du nom de Montaigne. Celui-ci devint donc une grande figure adversaire directe. Il est douteux toutefois que les autres Messieurs de Port-Royal se fussent donné et indiqué cet adversaire, si Pascal au début ne s’en était chargé et ne l’avait installé sur ce pied-là.

Bizarrerie de fortune et d’accueil qui frappe au premier coup d’œil, mais qui s’explique très-bien ! De Descartes et de Montaigne, l’un, si absolu, réussit à Port-Royal et s’infiltre, où l’autre, si attirant et si aima-