Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t2, 1878.djvu/408

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
398
PORT-ROYAL.

se peindre… ; » puis, presque aussitôt, on a un retour, une réminiscence : « Montaigne a raison, la coutume doit être suivie,.. ; » ou encore, ce qui est plus explicite et qui lui échappe à titre d’éloge : « Ce que Montaigne a de bon ne peut être acquis que difficilement ; ce qu’il a de mauvais (j’entends hors les mœurs) eût pu être corrigé en un moment, si on l’eût averti qu’il faisoit trop d’histoires et qu’il parloit trop de soi. » Et ailleurs il le qualifie tout d’un coup l’incomparable auteur de l’Art de conférer.[1] Combien de fois Montaigne, dans les temps de cette conversion combattue, avait-il porté la défaite en lui ! On pourrait résumer de la sorte : Pascal, dans toute sa vie et dans toute son œuvre, n’a fait et voulu faire que deux choses, combattre à mort les Jésuites dans les Provinciales, ruiner et anéantir Montaigne dans les Pensées.

Pour Nicole, j’ai regret de le dire, il renchérit trop ici, comme c’est l’ordinaire des seconds ; Montaigne a trop l’air pour lui d’être un plastron, tant il va dauber avec rudesse. Ces armes, que Pascal a faites si vigoureuses, deviennent aussitôt lourdes, hors de ses mains, et paraissent massives. Voici une page des Essais de Morale qui court risque d’être jugée un peu grosse de ton et un peu crue dans sa verdeur judicieuse. Il s’agit des plaisirs et des deux manières de s’y adonner, l’une directe, sensuelle et toute brutale, l’autre philosophique, indirecte, et non moins brutale définitivement : car c’est à cette fin que Nicole tient à ravaler son adversaire, ce délicat épicurien de la raison :

{{t| « Mais la seconde manière, dit-il, de s’abandonner aux plaisirs est infiniment plus dangereuse, lorsque c’est la

  1. Dans le petit écrit de Pascal sur l’Art de persuader, lequel je soupçonne, d’après quelques mots, d’une époque antérieure à sa grande conversion.