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PORT-ROYAL.

sa lecture favorite, enfantine et toute païenne ; ce sont les armes d’Achille sur lesquelles sa fantaisie soudaine s’est jetée ; et par là il enfile tout d’un train, nous dit-il, l’Énéide, Térence, Plaute et les comédies italiennes. Il joue les tragédies latines de Buchanan et de Muret à son collège, et juge déjà impertinents ceux qui trouvent à redire à ce plaisir ; à treize ans son cours d’études était fini. Ces autres plaisirs qui font le premier attrait de la jeunesse, et dont le juste retard commence aussitôt pour elle la difficile vertu, ces plaisirs sont d’abord les siens, et il se souvient à peine de s’en être jamais privé. Son esprit libre par nature, et que l’éducation avait si peu contraint, avait, à part soi, sous cette forme d’abandon, des remuements fermes, des jugements sûrs et ouverts autour des objets, et digérait seul ses pensées sans aucune communication. Le romanesque, qui n’est pas dans la nature, mais qu’une certaine imagination d’abord sophistiquée développe et caresse en nous, ne le tenta point. L’amour, qu’il aimait tant comme plaisir, et qu’il avouait le plus grand de ceux de nature, ne l’occupa jamais exclusivement comme passion. La chaleur moins téméraire et moins fiévreuse, plus générale et universelle, de l’amitié, eut en lui la préférence ; on sait combien vive il l’a éprouvée, comment admirable et belle il l’a dépeinte. Par tous ces endroits que je pourrais multiplier encore, il me paraît comme un exemplaire complet et tempéré de la nature même ; il est dans le milieu de l’humanité non chrétienne, mais civile, honnête et soi-disant raisonnable. Dans un temps de guerres civiles, il se maintient sans passion, sans ambition ; il s’acquitte de plusieurs charges avec honneur, sans cet éclat qui vous y attache à jamais, et il redevient vite, de Monsieur le Conseiller au Parlement, ou de Monsieur le Maire de Bordeaux, simplement homme. Être homme, voilà sa