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PORT-ROYAL.

chez lui ; tout a pris un sens ; on l’a vu partout cauteleux.

M. de Saci pourtant, s’il avait lu Montaigne lorsque Pascal lui en paria ; M. de Saci, en qui la règle était d’aller et de demeurer tout entier, par tous les points de son être et de sa vie, sous la volonté de Dieu (in lege Domini fuit voluntas ejus die ac nocte), aurait eu, j’en suis sûr, une réplique toute prête ; il aurait dit (je ne réponds que du sens) :

« Cet auteur à qui vous prêtez tant d’esprit, lui composant son système, qu’il l’ait eu ou non, trouve à coup sûr, sans système, son appui et, pour parler bonnement, son compère au sein de la plupart des hommes, même soi-disant Chrétiens, mais qui vivent comme si la Croix n’était pas. — J’aime les bois et m’y promène en rêvant, et je m’y retire vers la fin de ma vie, à mon aise, dénouant toute autre obligation et n’épousant que moi. Où est le Christianisme ? — J’aime cette fleur, ce rayon, ce gazon sur lequel le somme est doux, et où le songe m’apporte mille chimères ; je me complais à cette tente d’ici-bas, comme si elle avait été dressée à demeure. Où est le Christianisme ? — J’aime l’étude et les curiosités de mœurs et de coutumes, et les livres de voyages, et le Diable habillé en cent façons depuis la mode cannibale, un peu nue, jusqu’à l’italienne, sans m’inquiéter s’il est Diable ou non, mais seulement s’il est plaisant. Où est le Christianisme ? — Je lis Montaigne à mes heures perdues, et sans autre but que de lire. Où est le Christianisme ? »

M. de Saci pourrait ainsi continuer longtemps ; mais, pour ne pas courir le risque d’altérer dans notre conjecture sa simple et stricte parole, et d’y omettre surtout les textes d’or qu’il emprunterait à la Sagesse sacrée, je reprendrai en mon nom, tenant à bien fixer sur l’entière étendue de la ligne morale ces frontières absolues